Toc. Toc. « La place m’est toujours réservée ? »
Ma voix s’élève, comme sortie de nulle part. J’étais pourtant appuyé sur le cadre de la porte depuis quelques minutes déjà. Sans faire le moindre bruit, respirant à peine. J’étais là, bras croisés, a simplement la regarder, me demandant si elle ne m’avait vraiment pas remarqué. Il semblerait que non. Elle vaquait à ses occupations sans faire attention à moi. Un imperceptible sourire se devinait au coin de mes lèvres. Qu’elle était belle. La fièvre passée, je me sentais mieux. Mes esprits, autant que ma santé, revenus, j’espérais retrouver le droit de tenir compagnie à Ocyllie cette nuit. Je m’étais arraché à elle le temps d’être à nouveau sur pieds. Je ne la voyais pas vraiment du genre à pouvoir supporter la compagnie d’un nid à microbes près d’elle, l’empêchant de dormir et finissant par la contaminer. J’avais préféré lui épargner ça. Le danger désormais écarté, j’étais à nouveau à son entière disposition. D'un signe de tête, je désignais le lit que nous partagions jusqu'à il y a quelques jours. Ne restait plus qu’à savoir si j’y étais toujours le bienvenu.

Trier ses fringues, voilà à quoi se résumer ma soirée. Je m’étais convaincue qu’un tant soit peu de rangement ne pourrait que me faire du bien. A commencer dans mon armoire. Par flemmardise, cela faisait quelques semaines déjà que je ne m’obstinais plus à les ranger. Pourtant c’était devenu un tel chaos que je n’y retrouvais même plus certaines tenues. Ainsi, je pliais, rangeais, pliais, rangeais,… sans fin. Je regrettais d’en avoir pris autant avec, finalement. Une voix se fit entendre. Je n’y fis pas attention. Une bonne minute s’écoula, finalement, je me redressai, me retournai, sans espérer trouver Gabriel sur le seuil de la porte. Pourtant, il était là. Surprise, légèrement, je lui adressai un léger sourire. « Je ne pensais plus te revoir un jour ici… » lui dis-je, doucement, sans bouger d’un pouce. En effet, son absence avait été plutôt longue. Trop longue à mon goût, surtout qu’injustifiée. Et c’est à cause de lui si je n’arrivais plus à trouver un sommeil paisible. « Et donc, que fais-tu ici ? » lui demandai-je, tout en lui adressant un malicieux sourire en coin. Certes, j’avais ma petite idée en tête, mais qu’il pose ses attentes, je serais attentive.

« Eh bien… » Que faisais-je ici ? A première vue, pas grand-chose, hormis observer Ocyllie. Mais cela constituait en soi une activité déjà plaisante. Mais non, ce n’était pas la raison de mon retour dans la chambre aux tons jaunes des Sollya. Je rends son sourire à la belle et me déloge du cadre de la porte pour faire quelques pas dans la pièce. J’arrivais derrière la jeune femme ; je passais doucement mes bras autour d’elle et logeais quelques secondes mon visage dans son cou. Sa chaleur m’avait manqué. Je déposais un baiser dans le creux, à la naissance de ses épaules, puis un autre, plus léger, sur sa tempe. Ah, oui, pourquoi étais-je là. « Je venais te dire que tu m’a manqué. Aussi, te promettre de ne plus te lâcher désormais, malheureusement pour toi. Et peut-être pour rattraper ces quelques jours de perdus, qui sait. » S’il n’y avait que ça. J’étais tracassé par une idée. J’avais eu des heures à tourner dans mon lit, sans elle, pour penser. Pour remarquer que les minutes étaient longues lorsqu’elle n’était pas présente. Et qu’au final j’aurai préféré l’avoir toujours près de moi. Je passais mon temps à me dire que je n’étais pas amoureux, pas à proprement parler, parce qu’on ne peut pas avoir de véritables sentiments pour quelqu’un dans ce genre d’endroit, non ? Et que je n’étais normalement pas naïf au point de tomber dans ce genre de connerie qui te fout pieds et poings liés, j'avais assez donné. De l’affection, beaucoup d’affection, trop même, autant qu'on peut en avoir dans ce type d'émission, avec quelques débordements parfois, mais rien de plus, nous sommes si différents après tout. Mais j’avais de plus en plus de mal à rester dans ce déni ridicule, quand mes plombs sautaient lorsqu’elle était avec n’importe quel autre homme que moi. Quand je voyais bien que j'en étais bien trop dingue, et que j'explosais en sa présence. Elle avait l’allure de celle qui finira bien par me briser le cœur si j’avouais la place qu’elle y occupait. Et au final, par peur, je gardais de la distance. Oui, Gabriel cogitait quand il n’avait rien d’autre à faire, à part agoniser. Malade, je m'enfonce dans ma niaiserie, c'est absurde. « Je t’ai manqué ? » Je demande finalement avec un léger sourire, après un court silence. Le front posé sur ses mèches blondes.

Qu’est-ce qu’il faisait là ? Ma question restait inévitablement stupide. Je m’en doutais. Il était guéri. Il pouvait me raccorder une partie de son temps. Ou du moins, c’est ce que j’espérais entendre. Quoique, j’espérais bien plus ; quelques regrets, des mots doux, des retrouvailles plus fructueuses que jamais. Mais il restait Gabriel, mon très cher Gabriel. Le petit sot que j’affectionnais tant. J’avais appris à ne plus lui demander la lune. Ainsi, un baiser comme il savait les partager parlerait assez. Pourtant, je doutais qu’il y songe. Lui et ses grandes répliques, qui pourtant, si souvent le mène à sa perte. Il s’avançait, derrière moi, m’emprisonnait de ses bras. Il se permit quelques délicatesses, dans mon cou, au niveau de la naissance de mon épaule, puis sur ma tempe. Délicatesses qui incitèrent un imperceptible sourire se dessiner le long de mes lèvres, alors que le contact de ses lèvres contre ma peau ne put qu’engendrer de délicats frissons au sein de mon corps. ‘Je venais te dire que tu m’a manqué. Aussi, te promettre de ne plus te lâcher désormais, malheureusement pour toi. Et peut-être pour rattraper ces quelques jours de perdus, qui sait.’ Finalement, il commençait à se réconcilier avec les mots, et c’était particulièrement agréable à l’oreille, chaleureux dans la poitrine. Je ne répondais rien. Que dire ? Je ne savais pas. Il m’avait soufflé mes mots, ma voix, ma force. Tout à la fois. Peut-être plus simplement il n’y avait rien à ajouter. Le silence se faisait court et agréable. Calme et paisible. Comme son souffle dans ma nuque. Si il m’a manqué ? Je pensais pourtant que c’était évident. Je me retournais, face à lui, remontant immédiatement mes yeux dans les siens, mes mains sur ses joues. L’une glissait dans ses cheveux, désormais trop long à mon goût, mais peu importe, il restait divin. « Il se pourrait que oui. » chuchotai-je, alors que mon sourire s’élargissait. L’hypothèse n’avait pas lieu d’être. Evidement. Il m’avait manqué. Sa présence, sa chaleur, sa douceur. Et alors qu’il était absent, son parfum me narguait. Les nuits étaient horribles. C’est alors que je prenais conscience de l’importance qu’il avait désormais, à mes yeux. J’en étais dépendante. « Donc, je t’écoute, comment comptes-tu rattraper tout ce temps perdu ? » demandai-je. Il avait évoqué l’idée, qu’il développe. Même si je doutais de sa réponse. Quoique. Qu’il me surprenne.

Ce serait hypocrite de dire que je me fichais de savoir si je lui avais manqué ou non. J’espérais qu’elle avait pensé à moi. Egoïstement, oui. Il se pourrait que je lui aie manqué. Il semblerait que je doive m’en contenter. Je lui rendais alors simplement son sourire, appréciant la caresse de ses mains dans mes cheveux. Alors, comment comptais-je rattraper le temps perdu ? Perdu par ma faute. Je me pinçais les lèvres, songeant quelques secondes avant de poser mon front contre le sien pour répondre ; « J’aurai bien envie de nous foutre dehors, à la belle étoile, comme l’autre fois. » J’avais apprécié ce soir-là. Je suppose qu’on peut dire qu’il avait marqué le début de quelque chose entre elle et moi. J’en avais appris plus sur la belle. Ce qu’elle voulait bien que je sache au moins. Je pensais ne rien en avoir oublié. Je reprenais ; « Ou simplement se mettre sous la couette, ne plus en bouger pendant des jours, » Comme si nous n’avions pas besoin de plus d’espace pour vivre. « … enchainer clope sur clope, » Comme des drogués à la nicotine, jusqu’à ce que la chambre, la villa, ne soit plus qu’un aquarium remplit de fumée. « …accompagner ça de j’sais pas quel alcool, » Quoi que cela était optionnel. « … et balancer tout c’qui nous passe par la tête. » Entre deux séquences censurées, mais je ne voyais pas l’intérêt de le préciser. A mes yeux, c’était le programme idéal. Je savais que je venais de passer quelques jours déjà cloué dans un lit, et qu’alors je devais sûrement passer pour une belle feignasse, mais tant pis. J’haussais finalement les épaules avec un fin sourire, la rapprochant un peu de moi d’une pression dans le bas du dos. « En fait, j’m’en fiche. Comme tu veux, du moment que j’peux rester avec toi, j’veux bien même t’aider à ranger ct’armoire. » Qu’il est serviable, voyez-vous ça. Moi qui suis allergique à toute forme de rangement. Encore un peu fiévreux, sûrement.