« Red red wine… »
J’ai l’air dans la tête, il y aura trainé toute la journée.
« Makes me forgivin' that… »
Besoin d’oublier ? Oh, pas tant que ça. J’avais pourtant déjà vidé la moitié de la bouteille à moi seul. Et la chanson avait pris de plus en plus de place, jusqu’à ce que la chanter devienne le seul moyen de ne pas finir dingue.
« I still need her so… »
J’adore cette chanson. J’adore ce vin. Ca mérite un dernier verre. Putain, je sais pas pour quoi on doit me prendre à cet instant. Mais je suis loin d’être celui qui boit le plus dans la baraque. Allez, j’suis nominé, haut les cœurs, ça se fête.
« Red red wine… »

Je me balade dans la maison, en maillot des bains et pieds nus, après un bain de minuit (pour le coup, vraiment à minuit) dans la piscine. Oui, je sais, c'est un concept étrange mais voilà déjà quelques jours que je ne dors pas, je suis trop obnubilée par Nathan... J'entends un bruit s'échapper du salon, comme un verre que l'on cogne, ou quelque chose du genre. Je m'approche de la pièce et entends un léger marmonnement, une chanson je crois bien. Je dis, en passant la porte : Y'a quelqu'... Merde. Gabriel. Je me retrouve, debout, devant le bar face à lui. Si il y avait bien quelqu'un que je ne voulais pas voir, c'était bien lui. J'suis coincée maintenant.

« Cours vite, je pourrais te bouffer. » je lance à Lou qui vient de débarquer. Après tout, elle me dévisage avec ce je ne sais quoi qui me fait passer pour le connard en puissance qu’on n’a pas envie de voir. Même si je ne suis plus très net, je peux deviner dans son expression qu’elle préfèrerait bouffer du verre pilé plutôt que d’avoir fait la bourde d’ouvrir sa bouche en passant. Eh oui, coincée. « Non sérieux, arrêtes de me fixer comme ça. » C’est pas comme si je lui avais brisé le cœur, après tout. « Pose tes fesses. Ce vin est une tuerie. Il pourrait rabibocher à lui seul Yoko Ono et les Beatles. » Moi et mes références, ça devrait devenir culte. D’un signe de tête, je lui indique une chaise haute. D’un tour sur moi-même, j’attrape un verre et le pose sur le comptoir. Sans attendre de réponse, je lui verse un fond –un peu trop généreux même. « Tu continues à jouer les junkies dépressives ? » je demande, faisant référence à son look des dernières semaines, depuis notre engueulade en réalité. Il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Et j’étais d’ailleurs étonné que personne ne soit venu me prendre la tête avec cette histoire. Tant mieux, en fait.

Evidemment, il se sent obliger d'exprimer ce que je pense, et que mon corps crie malgré moi. C'était pas la peine, vieux, j'te jure, hein ! Yoko Ono et les Beatles ? Maybe, mais Gabriel & Lou, j'en suis moins sure. Quoiqu'il en soit, je finis par prendre place sur un tabouret, j'aurai toujours l'air moins conne que debout là, à moitié à poil. J'attrape le verre qu'il a posé devant moi, et en bois une gorgée généreuse. Très généreuse. Ok, elle fait la moitié du verre. Mais à en juger à l'aspect de la bouteille, il a déjà pas mal descendu, lui aussi... « Tu continues à jouer les junkies dépressives ? » Connard. Je lutte pour garder la face, et répond avec un sourire faux: Tu penses vraiment que j'ai l'air d'une junkie dépressive, en maillot de bain rouge à pois blanc, à minuit? Mais si tu parles des cinq kilos que j'ai perdu, alors ouais, j'ai pas encore réussi à les reprendre. Mon sourire est peut être hypocrite, mais au moins ce que je dis est vrai. On ne peut pas me le reprocher. Je bois une nouvelle gorgée.

Gentille fille, elle se pose sur la chaise et attrape le verre. Ca m’arrache même un sourire. Mais c’est pas parce qu’elle est mignonne qu’elle réchappera à mes aimables remarques d’après trop de verres de vin. En la servant, je me rends compte que ce n’était pas la moitié qui était partie, en réalité. Il n’en restait plus grand-chose. Alors, en l’écoutant, je fouillais rapidement la seconde bouteille qui se cachait quelque part par là. Trouvée. Au final, je n’écoute absolument rien de ce qu’elle raconte. Ca a pourtant l’air drôle. Ce n’est que sur la fin, vaguement, que je reconstitue ses paroles. Elle me cause de son poids ou bien j’ai halluciné ? Qu’est-ce que j’en ai à faire ? J’hausse un sourcil. « Hmh. » Bruit de fond de gorge extrêmement constructif, je l’accorde. « Tu fais quoi debout à cette heure ? » je demande, en l’air. Parce qu’au fond… « Non, je m’en fous en fait, laisse tomber. » Pas la peine de faire comme si. Elle est à moitié à poil, pas besoin de talents de devin pour deviner qu’elle revenait de la piscine. « Alors ? » D’un signe de tête, je désigne son verre déjà pratiquement vide. Quelque chose me dit que la seconde bouteille ne fera pas long feu elle non plus. A moins que Lou ne me l’écrase sur la tête avant que nous l’ayons terminée.

Le fait qu'il s'intéresse à ce que je fais debout m'intrigue... Enfin, c'est surprenant, j'aurais jamais cru. Je m’apprêtais à répondre, sans grande conviction, lorsque je suis coupée d'un : « Non, je m’en fous en fait, laisse tomber. » double connard, ouais. Je roule des yeux (okay, je suis pas sure que cette expression soit très très juste), et fait glisser mon doigt délicatement sur mon verre en regardant la couleur pourpre de son contenu. « Alors ? » Il dit ça en désignant le vin. Genre c'est lui qui l'a fait, t'sais... Il y est pour rien, il a juste ouvert la bouteilles, fournie par la production. Oh, bravo, quel effort surhumain ! Je hausse les épaules, et dis, reprenant ses mots : Je m'en fous. Je n'ai envie ni de faire d'efforts, ni de me prendre la tête avec quelqu'un, j'ai plus la force, assez donné. Je le fixe un temps, et finis par demander, détachée : Qu'est ce que tu fais ici, toi ? Genre pas ici, au bar, ici dans le jeu... Oh et pis merde, il comprendra ce qu'il voudra. 'Fin, ce qu'il pourra quoi.

C’est ça, invite la nana à boire un verre pour mieux qu’elle t’envoie chier. Non, pas une seule seconde le fait d’avoir été un brin grossier ne me traverse l’esprit. Et je ne voyais donc pas qu’elle se contentait de bien me le rendre. A vrai dire, cela me passait tellement au-dessus de la tête. Qu’elle soit mauvaise si elle voulait l’être, peu m’importait. Au pire, elle pouvait partir. Mais elle ne quittait pas son siège, alors quoi ? Autant essayer de se supporter. Elle me demandait finalement ce que moi je faisais debout. Elle doit aussi s’en foutre, mais pour la forme, ça fait bien. Enfin, elle ne me coupe pas directement comme je l’avais fait. Je me contente donc j’hausser les épaules, « Pas envie de dormir. Mes habitudes de noctambule me manquent. » Puis j’attire le verre à mes lèvres. Je devrais faire gaffe à ce que je raconte, n’empêche. « L’enfermement commence à te peser, hein ? » Surtout que je suis constamment dans le coin, elle doit se retenir pour ne pas être coupable de meurtre dès que nous sommes dans la même pièce, j’me doute.

Il a pas bien compris le sens de ma questions... Mais au fond c'est pas grave, c'est pas comme si je demandais ça pour faire autre chose que meubler... « L’enfermement commence à te peser, hein ? » Mes yeux s'assombrissent. Je réponds un simple : Ouais... Sans fioriture ni expression déplacée, juste un ouais... Comme quoi, cinq lettres peuvent exprimer beaucoup. On a pas besoin de placer des milliers de mots pour réussir à s'exprimer comme on le veut. Mais ouais, Dieu que je supporte mal l'enfermement. Moi qui ai l'habitude de changer de boulot, d'endroit, au gré de mes humeurs, je suis sacrément dépaysée. Mais c'est pour la bonne cause. En tout cas, une chose est sure, ce cloisonnement, j'le supporterai pas trois fois. Je boise le reste de mon verre d'une traite et lui demande, en le re-remplissant de la nouvelle bouteille : Et toi, tu gères ? J'pense que ça doit être plus facile pour lui, il a l'air de n'avoir aucune attache réelle dehors... Je sais pas.

Lou était mère après tout –seule raison pour laquelle je la hais autant que je l’admire encore un tant soit peu- il était normal que l’enfermement lui pèse. Disons qu’elle avait une vie bien plus posée que la mienne, à l’extérieur. Moi, j’avais mon chien, le boulot, et la nuit. Je m’en contentais. Tout du moins, c’était ce que j’essayais de croire. Du coup, est-ce que je pouvais dire que je vivais mal d’être enfermé ? Pas vraiment. « Nickel. » je lui réponds sur le même ton qu’elle. Après tout, j’aime cet endroit. C’est grand, c’est luxueux, le jardin est immense. Dehors ne m’attendait qu’un misérable appartement qui n’avait pour lui que la vue sur le port et le coucher de Soleil sur le bord de l’eau. Je n’étais pas si pressé que ça d’y retourner. « Tu devrais peut-être rentrer chez toi. » je lance, non seulement pour la titiller –oui, très intelligent- mais aussi avec un fond de sérieux. Gamin, j’aurai eu du mal avec le fait que ma mère me lâche pendant des semaines pour une émission de ce genre. Et depuis que nous nous étions pris le bec, elle semblait avoir perdu l’envie d’être là. Sa place était sûrement chez elle.

« Tu devrais peut-être rentrer chez toi. » J'entends ces quelques mots et me mets à rire frénétiquement. Genre ! C'est stupide, je ne suis pas de celles qui abandonnent à la moindre crainte, j'suis une battante, c'est comme ça que j'ai été élevée, et que j'ai toujours vécu. Toute ma vie j'ai du lutter, depuis le jour de ma naissance. Donc non, ce n'est pas un jeu télé qui me fera peur. Mais d'un côté je sais qu'il a raison, au fond. Ma place n'est pas forcément ici... Plutôt chez moi. Mais non, je me suis lancée dans l'aventure et j'irai au bout. Mais t'aimerais bien, hein ! Ca t'enlèverait la concurrence d'une adversaire de taille. Je dis ça à mi-chemin entre l'auto-dérision et le sérieux. J'irai en finale, mais ça, vous le savez déjà !