Alors que je me suis à peine levé, je m’étais déjà dit que cette journée allait être placée sous le signe de la paresse. Je n’avais vraiment, vraiment pas envie de faire le moindre effort. C’est pourquoi, après avoir discuté quelques temps avec certains candidats, j’ai décidé d’aller dans la véranda. Même si c’est un endroit dans lequel j’aimais passer mon temps libre, je n’y étais pas souvent allé. Je préférais tout de même profiter de la piscine ou de la bibliothèque, mais un peu de changement ne fait pas de mal. Ainsi, en m’approchant de la véranda, j’ai pu constater qu’elle était vide. Je m’attendais à y croiser des candidats, mais il n’y avait personne pour le moment. Quelque part, même si j’avais envie d’être au calme, un peu de compagnie n’aurait pas fait de mal. Je n’affectionnais pas tout le monde ici, c’est vrai, mais en général ceux qui ne m'apprécient pas m’évitent. Enfin, c'est logique. Ainsi, installé confortablement sur un des sofas de la véranda, je posai ma tête en arrière, reposée sur le bord du canapé. Les yeux fermés, je souriais. Je me rappelais du prime de vendredi dernier, quand on m’a annoncé que j’allais former un nouveau binôme avec Noraline. Au bout de quelques minutes, j’entendis quelqu’un entrer dans la pièce. Parfait ! Enfin quelqu’un à qui parler. Je me suis donc rassis correctement avant d’ouvrir les yeux et constater avec étonnement que Gabriel se tenait à quelques pas de moi, le regard traversant le mien.

J’aime bien le muret de la terrasse. Quand on me cherche partout, mais que je suis introuvable, à tous les coups on me met la main dessus allongé sur ce muret, clope au bec. J’y étais cette fois encore, depuis peu, quand je vis Chase quitter une des baraques et faire quelques pas dans le jardin. Je ne le quittais pas des yeux et regardais où il irait se poser. Mon regard n’était pas mauvais, seulement curieux. La première fois que nous nous sommes adressé la parole « pour de vrai », je l’avais envoyé chier parce qu’il approchait de trop près Marilou, mon binôme. Acte qu’on peut qualifier d’égoïste, puisque je ne ressens rien pour la jeune femme, et qu’elle n’est pas ma propriété. Mais j’ai une autre vision des choses. Une vision Gabrielesque. Depuis, nous ne nous étions plus adressés la parole. A la suite du dernier prime, et du départ du beau gosse dont je ne savais même pas le nom, Chase était devenu le binôme de Noraline. Et Nora étant dans mon équipe, Chase était assuré d’être laissé tranquille par nous pour un bon moment. Décidé à faire plus ample connaissance avec mon colocataire, je quittais mon muret, clope au bec. Cette fois, on essayera de pas le faire fuir, le pauvre. Je m’approche silencieusement par derrière lui. Il s’était installé dans l’un des canapés de la véranda. J’y aime bien le portrait de Marylin. Ma main droite prend la forme d’un pistolet –ouais, comme quand on joue aux policiers et aux voleurs quand on est gosse. Je colle mon majeur sur son crâne. « Plus un geste. » j’annonce avant de tirer sur ma cigarette. Bonjour, moi c’est Gabriel, j’ai sept ans.

Une fumée claire s’échappait de la bouche de Gabriel. La véranda devenait peu à peu opaque, mais l’air se renouvelait rapidement, car la pièce était très ouverte sur l’extérieur. La seule fois où nous nous étions adressé la parole, Gabriel me fit remarquer que mon attitude envers sa binôme Marilou ne lui convenait pas, lors de la toute première soirée à la piscine. Depuis, plus rien. Ce n’est pas que je l’évitais, pas du tout, mais j’étais assez peu confiant quant à ce qu’il pensait de moi. Dans le doute, mieux vaut ne pas risquer de se faire des ennemis, je n’ai pas décidé de participer à Part of Me dans le but de me faire haïr de tous. Visiblement, Gabriel ne tenait plus compte de ma précédente maladresse, et j’espérais pouvoir repartir sur de bonnes bases. De plus, il est le chef de l’équipe Waratah, équipe dont fait partie ma belle partenaire Noraline ainsi qu’Alexis, avec qui j’entretenais de bonnes relations. C’est Gabriel qui est venu me voir de lui-même. Ce dernier imitait la forme d’un pistolet avec sa main, et colla son majeur sur mes temps en m’annonçant « Plus un geste. » Je souris, « Sinon quoi… ? Je compte pas partir en courant. » C’est pas comme si j’avais la folle du jeu derrière moi, là j’aurais détalé. Et vite.

Il m’adresse un sourire, et je comprends immédiatement que lui non plus n’a pas envie de faire des étalages de rancunes quant à ce qu’il s’était passé à la piscine lors de la première soirée. On efface l’ardoise, c’était ridicule. Oublié. Mais Chase ne tremble pas face au Smith & Wesson Magnum 500 digne des légendaires westerns Eastwoodiens que forment mes doigts. Oui, c’est beau d’avoir de l’imagination. Il se contente de répondre qu’il ne compte pas prendre ses jambes à son cou. Pouah, il est pas marrant, il joue pas le jeu. Tant pis. J’hausse les épaules, et tire à nouveau sur ma cigarette. Sinon quoi ? « J’te castre avec une petite cuillère, si bien que tu pourras à nouveau chanter dans un chœur d’église. » je réponds avec un ton neutre, l’air presque sérieux. Mais rien qu’à imaginer cette idée, j’ai mal pour lui. Je baisse mon flingue –oui, oui, j’y crois- et le fait disparaitre dans ma poche. « Alors, belle gueule de Spartiate, t’es là pour chopper au moins une des demoiselles du casting ? » J’ai déjà été plus aimable, je l’avoue. Mais Gabriel, par définition, est plutôt casse-couilles.