C’est sur la pointe des pieds que je quitte la chambre des Waratah. J’ai la dalle. Pas de restes qui trainent dans la cuisine, j’ai vérifié. Je dois donc aller jusqu’au cellier pour espérer qu’on ne me retrouve pas mort de faim demain matin. Bah, c’est pas comme si il fallait traverser les deux villas, hein. Sinon ça serait pas drôle. Sans faire le moindre bruit, sans me prendre le moindre meuble, je parviens à mon but. La caverne d’Ali Baba, nommée garde-manger. A moi les céréales ! J’allume la lumière qui me grille la rétine et mets la main sur ce saint graal. Ni une, ni deux, je plonge la main dedans. ‘tin, ça fait du bien. Je ré-éteins la lumière, elle est trop forte pour mes pauvres yeux. Puis je me pose par terre, là, dans le cellier. Avec mes céréales. J’aurai eu la belle vie si la porte ne s’ouvrait pas à nouveau. « C’est occupé. » je lance en grognant comme si j’étais aux chiottes. Aimable est mon second prénom.

Putain c'est bon ! Non sérieusement, c'est vraiment vraiment trop bon, mais... on pourrait nous voir, quelqu'un pourrait nous surprendre, non, ils nous jugeraient, ils ne pourraient pas comprendre notre amour, il est si doux, si profond, si sucré, si dangereux. Je plonge une cuillère à soupe dans ce pot aux mille délices puis je laisse ma bouche savourer la moindre parcelle, le moindre petit fragment de cette substance au goût chocolaté. J'observe à nouveau le pot de nutella, mon pot de nutella, puis j'observe ce qui m'entoure, il fait nuit et je suis dans le cellier, la lumière est éteinte et je me sens comme un voleur, surtout lorsque que ma fine ouïe détecte des bruits de pas s'approchant dangereusement de ma position, ni une ni deux, je m'empresse de cacher mon port de nutella - mon précieux, je ne les laisserai pas me voler mon précieuux - ok, mon humour de merde me ferait presque peur à moi-même, mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper, je sors discrètement du cellier et me cache dans un coin. Je le vois enfin arriver, il fallait que ce soit lui, Gabriel; je soupire discrètement avant d'entrer pour la seconde fois dans le cellier, ah, parce qu'en plus il a le culot de dire que c'est occupé, il se croit aux chiottes ou je rêve ? « Ouais, fais ton caca nerveux ! » lui balançai-je en me saisissant nonchalamment de mon précieux et de reprendre ma dégustation.

C’est donc Elijah qui vient me perturber dans ma dégustation de céréales. Oh, le vilain. Non, sérieusement ; je l’envoie chier, mais qu’il se barre ou non, je m’en tamponne. Il attrape un pot de Nutella en me renvoyant la politesse. Ca me fait toujours sourire, cette attitude. Ca me donne envie de lui choper les joues pour les tirer façon grand-mère en lui disant que « c’est bien, faut pas se laisser faire par les méchants garçons à l’école ». C’mignon. J’étouffe un rire, presque moqueur. Je préfère quand même ne pas répondre ; j’suis pas bien parti avec lui en disant qu’il ressemblait à un sapin de Noël pendant le prime. Le pauvre. Surtout que j’aimais bien, en fait. « C’pas bon pour ta ligne, princesse. » je fais en désignant le pot de Nutella d’un signe de tête, et en fourrant ma main dans le paquet de céréales. Enfin bon, je cause à un des mister muscles de la baraque aussi, il est pas au pot de Nutella près, le gaillard.

Je suis sur le point de porter une cuillerée de Nutella à ma bouche quémandeuse lorsque je discerne ce qui me semble être le début d'un rire, finalement étouffé. Mes yeux se ferment, j'inspire profondément, peut être même bruyamment puis je décide finalement de ne pas y faire attention et reprendre ma dégustation, mais évidemment il faut qu'il rajoute une couche ! Non seulement il a le culot de me dire que le Nutella n'est pas bon pour ma ligne mais en plus il ose m'appeler "Princesse". Mes yeux se ferment à nouveau, je serre mon précieux pot de Nutella et je repose machinalement ma cuillère à l'intérieur. Je ne sais vraiment comment ce type peut bien faire pour arriver à me faire sortir de mes gonds aussi facilement, ni même pourquoi, mais en tout cas il y arrive parfaitement ! Où est passé cet air mi-blasé mi-hautain dont j'ai le secret ? J'inspire à nouveau, plusieurs fois puis je le regarde et m'apprête à ouvrir la bouche, mais je la referme aussitôt: on répond aux imbéciles par le silence, me disait ma tante, quoique c'est peut-être elle l'imbécile... Bref, ce type n'a peut-être pas tord non plus, le Nutella me fait certainement plus de mal que de bien... Je pose alors le pot sur une petite table dans le coin, mais rapidement je suis en manque, merde il a réussi à me troubler avec ses paroles, je me tourne furieusement vers lui avant de crier « Tu fais chier merde ! » J'ai perdu mon sang-froid, il a gagné.

Il inspire, il ouvre la bouche, la ferme, expire, ouvre les yeux, les referme, me jette un regard mauvais ou lâche un souffle énervé. On dirait un taureau coincé dans sa cage, n’attendant qu’une chose, défoncer ce putain de matador qui le nargue. Notons que c’est donc moi qui le mène allègrement par le bout du nez et qui provoque cette réaction chez Elijah, ce qui est loin de me déplaire. Vu que je suis un chieur notoire. Y réponds, y réponds pas. Il sait pas lui-même. Je serre les mâchoires et les dents pour pas exploser de rire. Mais c’est juste une scène trop ridicule. Il pète finalement son câble. Même pas parce que je l’ai appelé princesse. Mais parce que lui-même ne sait plus s’il doit bouffer ce foutu Nutella ou non. C’est tellement pitoyable. « Attention, t’as la carafe qui va exploser à force de trop te prendre la tête. » On dirait une ménagère névrosée au régime face à une vitrine de pâtisserie ; sur le bord de la crise de nerfs. « Oh, allez, détends toi. T’es sexy quand tu fourre ta cuillère dans ta bouche avec l’air d’être au bord de l’orgasme gustatif, alors continues à te branler les papilles, j’suis sûr que les téléspectateurs vont adorer. » Merde, je savais pas que j’étais capable de caser autant de références au cul dans la même phrase. C’est grave.

Je soupire, une fois de plus, il n'a pas tort.... une fois de plus. Je reprends mon pot de Nutella, ne pouvant pas résister à son appel: pardon, mais c'est trop bon - chausséééééée aux moiiiines - humour de merde sort de ce corps ! Passons, je me perds une fois de plus dans l'extase que me procure cette simple petite cuillerée de Nutella, j'en viens même à lécher la cuillère, la nettoyant dans les moindre recoins, mais une fois de plus je suis coupé dans mon moment de plaisir solitaire par nul autre que l'emmerdeur de service, Sir Gabriel et... Je manque de m'étouffer avec ma cuillère à l'entente de sa déclaration. Sur le coup je ne sais pas trop quoi lui répondre et le fixe avec de gros yeux en priant pour ne pas être en train de rougir, il ne manquerait vraiment, vraiment plus que ça. Après quelques - nombreuses - secondes je soupire - oui, une fois de plus - je reprends enfin possession de mon célèbre visage mi-hautain et mi-blasé puis me décide de tenter un petit « Hum mer.. C'est censé être un compliment ? Parce que venant de toi il y a de quoi émettre quelques doutes... » tout cela accompagné d'un soulèvement de sourcil tout ce qu'il y a de plus hautain... Putain je m'aime.

J’crois que je l’ai choqué. Le pauvre petit, après avoir entendu la poésie de mes paroles, s’étouffe carrément avec sa cuillère. J’le regarde avec un petit sourire amusé, et un sourcil arqué. Mais il nous fait quoi, là ? « Eh, crève pas, j’veux pas d’un macchabé sur les bras. » Ou alors il se démerde pour faire disparaitre son propre corps, parce que j’y toucherai pas. Il se calme finalement, et me fixe avec son regard de merlan frit. Genre, c’est ma faute si tu sais pas que quand tu bouffe du Nutella à la cuillère, on évite de bouffer la cuillère AVEC le Nutella ? Il est tout rouge, et je sais pas si je mets ça sur le compte de sa quinte de toux, ou sur le fait qu’il sait qu’il avait l’air ridicule. Son petit air snob n’y changera rien, mais je fais mine d’être sérieux juste pour qu’il pense qu’il a l’air crédible –j’veux pas non plus lui montrer à quel point il a l’air crétin jusqu’à le rendre dépressif, le gamin. « Venant de moi ? Alors tout ce que je dis est forcément machiavélique ? Tu me vexerais presque. » je rétorque sans pouvoir m’empêcher de sourire. Roh, allez, pleure pas Eli. « Prends-le comme tu veux. Être sex, c’est bien, mister muscles. Mais on dit aussi que plus y’en a dans les biceps, moins y’en a dans le crâne. » J’hausse les épaules, comme si je ne venais pas du tout de dire qu’il a sûrement de la semoule à la place des neurones. Mais je le taquine, voyons.