▬ JAYDE & GABRIEL ▬
Mardi 8 mai - 18h

La forêt est une originalité sympathique de ce jeu. Enfin, je suis un type du genre à préférer les grandes villes pleines de voitures, de buildings, de mégas-panneaux publicitaires, de pollution, de bruit, et toutes ces choses si saines de la vie urbaine. Mais je pense que les jours où les candidats me feront péter un plomb, si par miracle ils y arrivent, ou bien si un monstre surgit pour tous manger, ça sera un bon refuge. La rivière coule pas loin. C’est aussi original d’avoir posé le confessionnal ici. Toujours mieux que la cabane du fond du jardin où on se battrai pour aller aux chiottes, ou y trouver une pelle pour se matraquer la gueule. Faut juste pas avoir peur du noir pour aller buzzer, en cas d’illumination soudaine en pleine nuit. Ce qui est loin d’être mon cas. Mais ce n’est pas pour l’attrait du buzzer que je traine ici. Simplement… pour visiter. Oui, je visite une forêt. Normal. Je fais le repérage des coins où enterrer un cadavre discrètement. Clope au bec. Une branche craque ; je sursaute et manque d’hurler comme une blonde dans un film d’horreur –celle qui crève toujours en premier. Je me tourne et vois une jeune femme blonde. Ouah, quel monstre terrifiant Gabe. « Tu m’a foutu une putain de peur bleue ! » je lui gueule le plus sympathiquement du monde.

Je traîne dans la forêt depuis un moment déjà. Au départ, c'était dans l'idée de voir comment était le confessionnal. Et puis, la rivière aussi. Bref, ça fait un moment que je suis là-dedans. Bon, y'a rien d'exceptionnel. C'est des arbres quoi. Mais c'est tout de même sympa, non ? Qui aurait pensé à une forêt dans un jeu pareil. Au loin, j'aperçois un autre candidat qui semble aussi visiter la forêt. Bien que visiter une forêt reste un concept bizarre. Je décide alors de m'approcher, tant qu'à faire. Autant se balader dans la forêt à deux, non ? Arrivée presque au candidat, qui est de dos, je marche sur une branche. Ce qui n'est pas tellement étonnant en soit. On est dans une forêt. Celle-ci craque. Le candidat se retourne, et rapidement, gueule qu'il a eu peur. Tss. Je me retiens de rigoler. « C'était franchement pas mon intention, désolée. » répliquais-je en levant les bras, telle une coupable. Je rigole un peu. « Nan, sérieux, j'fais pas peur, quand même, si ? » Franchement, j'avais pas une tête qui faisait peur. Quand même pas. J'étais trop adorable pour ça, quoi. Ben ouais.

Non, c’est vrai qu’elle est loin d’être monstrueusement hideuse, la demoiselle. Au contraire. Mais que voulez-vous, le temps est maussade, nous sommes dans une forêt où je ne pensais pas croiser qui que ce soit, étant le seul dérangé à visiter des forêts, et les craquements de branche, ça fait film d’horreur. Néanmoins, j’admets que là, je suis quelque peu ridicule. Je me détends ; la jeune femme a levé les mains comme pour demander un cesser le feu, et cela me fait rire. « Pas grave. » je dis avec un sourire amusé. Une seconde, je l’observe plus attentivement. Non, bien sûr, elle ne fait pas peur. « Bien sûr que si ; tomber sur une belle blonde en pleine forêt, c’est effrayant. » Me dites pas que j’ai dit ça, d’accord ? Je m’approche d’elle en quelques pas, en ajoutant ; « Mais je pensais plutôt tomber sur une sorte de monstre que la prod’ aurait planqué dans la forêt pour tous nous dévorer un à un. Donc à choisir, je préfère te croiser. » Je lui adresse un sourire, avant d’enfin me demander ce qu’elle fait là. Elle ne m’a pas l’air en plein footing, ni le genre d’amoureuse de la nature venue faire un câlin aux arbres. « Moi c’est Gabriel. Toi aussi tu visite les forêts ? » Parce que c’est tout à fait commun, évidement.

Tomber sur une blonde dans une forêt, c'est effrayant ? Bon, ouais, si il veut après tout. « C'est ça, ouais. » répondis-je plus amusée qu'autre chose. Puis, il s'approche de quelques pas. J'écoute ce qu'il a à dire. Un monstre pour nous dévorer tous, un à un ? Ah ouais, quand même. Heureusement que la production n'était pas aussi sadique. « Heureusement que tu préfères me croiser plutôt qu'un monstre. J'aurais été franchement déçue, t'sais. » Un monstre restait un monstre après tout hein. Alors que moi, j'étais tout le contraire. Enfin, si pouvait comparer un monstre et une femme. Et puis, finalement, il se présente. « Enchantée, moi c'est Jayde. » lançais-je en souriant. « Et puis, ouais, attends, les forêts, c'trop cool à visiter, tu vois. » Le tout d'un ton assez sérieux. Genre, comme-ci c'était une passion. Et très franchement, c'était loin d'être le cas. Disons que sur le coup, je n'avais rien trouvé de mieux à faire alors, voilà, j'étais dans la forêt. « J'crois c'est la première fois que j'me retrouve dans un endroit aussi calme depuis qu'on est là. » Non pas que les candidats étaient bruyants. Enfin, si. Mais c'était normal. On était vingt-huit quand même. Pire que quand j'devais encore aller au bahut.

Je lui adresse un sourire, parfaitement conscient de déblatérer des âneries plus vite que la lumière. Faut dire qu’avoir peur d’une petite blonde dans une forêt, ça ne donne pas forcément une très bonne image dès le départ. Autant enchainer avec des bêtises, histoire de finir le travail et avoir définitivement l’air d’un idiot. Au moins, ça sera fait. « Et j’aurais été déçu de ne pas te croiser. » je lui réponds gentiment avant de me présenter. Elle fait de même. Jayde. J’ai une assez bonne mémoire, alors il ne me sera pas compliqué de me rappeler que la petite blonde qui m’aura foutu la frousse se nomme Jayde. Et puis, je l’aime bien. Elle est souriante, et même si elle me prend sûrement pour un crétin, elle ne le montre pas. « Calme, ouais. Faut dire qu’il n’y a pas grand monde à qui faire la causette ici. A part des arbres. Et moi. » je dis en haussant les épaules. « Quoi qu’entre me parler à moi et parler à un arbre, je te conseillerai l’arbre. » Sincèrement, vu mon brillant parcours dans cette conversation jusque-là, je pense que causer à un bout de bois est déjà plus constructif. Communiquer avec la nature, tout ça, voyez.

Bon, j'aurais été déçue qu'il préfère la compagnie d'un monstre. Il aurait été déçu de ne pas me croiser. C'était sympa, non ? C'était toujours ça, en tout cas. Bref, les présentations sont donc faites. Un prénom de plus à retenir, un ! Et puis, j'évoque le fait que c'est étonnamment calme ici. En même temps, Gabriel a raison. A part lui ou des arbres, l'endroit est désert. Je rigole un peu lorsqu'il raconte qu'entre lui et les arbres, il me conseillerait plutôt de parler aux arbres. Vraiment ? « Pourquoi, t'es si ennuyant que ça ? » Je demande cela d'un air amusé. Autant savoir, après tout. « Le problème, avec les arbres, c'est qu'ils sont pas très bavards. Et j'aime pas parler toute seule, tu vois. » Et à mon avis, un arbre est bien plus ennuyant que le candidat. Du moins, je l'espère quand même. Et puis, m'ennuyer, je déteste. Alors, non, je ne ferais pas la discussion aux arbres. Je tâte d'un coup de main la poche arrière du jean que je porte. J'en sors rapidement mon paquet de clopes. Je l'ouvre. Merde, j'ai paumé mon briquet encore. Je lève la tête vers le candidat. « Dis, par hasard, t'aurais pas du feu ? » Faites qu'il en avait, faites qu'il en avait. Pour allumer ma clope, hein, par pour faire un feu de joie ou foutre le feu à la forêt.

De ma vie, j’ai rarement eu de tels ratages pour une première discussion avec une femme. J’ai l’impression d’enchainer bourde sur bourde, c’est… désespérant. J’aimerais prendre racine, devenir un arbre, me fondre dans le décor, et qu’elle m’oublie. En plus, elle est plutôt gentille, Jayde. Plutôt mignonne. Elle mérite pas de se coltiner une de mes crises de boulet-attitude momentanée. Je soupire ; « J’en sais rien ; tu me trouves ennuyeux, toi ? » Question piège. Evidement qu’elle va te répondre qu’elle te trouve super chiant, crétin. « Non, en fait, c’est juste qu’à cet instant, je donnerais ma cagnotte pour une machine à remonter dans le temps et recommencer cette rencontre à zéro, tu vois ? » je reprends avec sincérité et un petit rictus gêné. Un arbre au moins, ça n’irai pas sortir des phrases à deux balles ou parler de monstre de la forêt. Finalement, la belle me demande du feu ; machinalement, je sors le briquet de ma poche arrière. J’approche la flamme de sa cigarette et l’allume. Tant que j’y suis, je m’en grille aussi une. Mes neurones marcheront mieux avec une dose de nicotine.

Est-ce que Gabriel était ennuyeux ? Je réfléchissais un instant. Pour l'instant, ça allait. Je pense. En tout cas, c'était quand même, toujours mieux que de parler à un arbre, non ? Déjà, j'avais pas l'air conne, ben ouais. Et puis, lui, il pouvait répondre quoi. « Ben non. » répondis-je tout simplement. Que dire de plus, façon. J'arborais un sourire sur mon visage tandis qu Gabriel reprit la parole. Je l'écoutais et je rigole légèrement. « Tu sais, pas besoin de vider ta cagnotte si c'est juste pour ça. » lançais-je amusée. Genre, ça voulait dire que, si il tenait vraiment à tout recommencer, je ferais semblant d'avoir une mémoire très très courte. Ou de ne pas avoir de mémoire du tout. Bref, peu importe. Puis, alors que je lui demande s'il a du feu, celui-ci sort son briquet de sa poche arrière puis, approche la flamme de ma cigarette que je tenais en bouche et l'allume. Par la même occasion, il s'en allume une aussi. « Punaise, merci, t'es génial. » Ben ouais, la cigarette, c'était sacré, voyez.

Je ne pensais pas qu’en bon fumeur, avoir du feu sur soi soit aussi génial. Mais si elle le dit, et que ça remonte le niveau de mon image, je n’ai rien contre. Du coup, après avoir allumé ma propre clope, je range le briquet dans ma poche. Dès la première bouffée, je suis plus détendu. Accroc comme je suis à ces conneries, j’vous dit que je vais pas faire de mieux os. Mais je pense qu’on aura trouvé un remède contre le cancer avant que je sois sur le point d’en mourir. Enfin, je compte là-dessus pour sauver ma peau. C’est assez idéaliste, je l’admets. Un court silence s’installe ; je regarde la jeune femme, Jayde, tirer sur sa cigarette. Finalement, je tourne les talons et annonce ; « Si vous le voulez bien, nous allons continuer la visite de cette forêt. » On était bien partis pour ça, non, après tout ? Avec de grands gestes de chaque côté, je joue les guides. J’en profite même pour jouer de mon accent anglais en appuyant les voyelles. « A votre droite, un arbre. A votre gauche… un arbre ! Plus loin encore à votre gauche ; ça alors ! UN BUISSON ! » Sapristi, on se croirait presque dans une forêt, tiens !

Je commence donc à fumer ma fameuse cigarette. Autant dire que je me sens mieux, d'un coup. A croire que la cigarette avait un mauvais effet sur moi. Enfin, mauvais, dans le sens où je ne pouvais m'en passer. Et très franchement, je ne sais pas si cela est une bonne chose. Mes parents diraient sans doute que non. Mais bon, normal. Un silence s'est installé. Et finalement, tournant légèrement sur lui-même pour se retourner, Gabriel reprend la parole. Partant sur le simple principe de terminer cette fameuse visite. Je rigole, surtout lorsqu'il fait de grands gestes. Un arbre à droite. Un autre arbre à gauche, jusqu'ici, tout va bien. Et puis, là, chose étonnante, un buisson. Mon dieu ! Je regarde alors Gabriel, l'air étonné, la main sur la bouche. Genre, comme-ci c'était la plus belle chose du monde. Ou que je n'avais jamais vu de buisson avant. Je rigole toujours aussi. Punaise, une vraie débile, j'vous jure. « C'est que tu ferais un bon guide, dis-donc ! » fis-je alors, amusée. « T'as jamais pensé à te reconvertir en guide ? » Bon, à vrai dire, je ne savais pas spécialement ce qu'il faisait dans la vie. Manquerait plus qu'il soit vraiment guide. La honte. « Et sinon, t'es anglais toi, non ? » Il avait en effet accentué son accent durant cette petite visite. Enfin, même si, à proprement parler, elle n'était pas terminée. Ben ouais. Et du coup, la curiosité emportant sur le reste, je m'étais sentie obliger de lui poser la question.