▬ LEWIS & GABRIEL ▬
Samedi 5 mai – 16h

Je regarde Marylin droit dans les yeux. Et l’étrange plante verte, juste à côté. Les pieds posés sur la table basse –Taziah va me tuer-, installé dans l’un des fauteuils noirs de la véranda. Clope au bec, évidement. Gabe qui ne fume pas, c’est pas Gabe. Mais le monstre qui a bouffé Gabe. D'ailleurs, Gabe qui n'est pas au lit à ct'heure là, ça n'existe pas non plus d'habitude. Je me verrais bien avec une guitare pour m’accompagner, mais si cette baraque en cache une, je n’ai pas encore mis la main dessus. Du coup, je fais sans. « Sweet dreams are made of this… » Ouais, c’est posé comme endroit. D’habitude, j’ai trop horreur de la solitude pour rester plus de dix minutes sans bouger pour trouver quelqu’un à qui parler, mais cette fois, je resterai bien là une heure ou deux, simplement à ne rien faire à part marmonner de l’Euritmix en clopant allègrement.

Le temps d’une seconde, je ferme les yeux, tirant allègrement sur ma cigarette avec nonchalance. Je marmonne toujours, bouche fermée, cette chanson que j’aime bien. Lorsque j’ouvre à nouveau les yeux, une tête rousse a fait son apparition. Je faillis sursauter ; je ne l’avais ni senti, ni entendu arriver. Il est là, il ne dit rien. Une sorte de statue. Est-ce qu’il respire ? Je le regarde de travers, malgré moi. Toujours rien. Compte-t-il parler ? Que dalle. Respirer ? Peut-être. Sans le quitter des yeux –oui, comme c’est impoli- je me penche sur la table et écrase ma cigarette dans le cendrier. Puis je reste appuyé en avant, coudes sur les cuisses. Droit dans les yeux. En chien de faïence. Dans le silence. Les secondes passent. Rien. Je reste plongé dans ses prunelles naïves et timides. Les yeux grands ouverts. Quand finalement ; « T’as cligné. » Aha ! Un large sourire satisfait étire mes lèvres, comme un grand gamin. Oui, je suis fier de mes âneries.

Visiblement, pas moyen de faire réagir le rouquin. A part balbutier, je me demande ce qu’il sait faire. De la carotte, il est passé à la tomate en un éclair. Et maintenant, il n’ose même plus me regarder. Mes épaules tombent, dépité. « La vache, j’aurai jamais cru que j’faisais aussi peur que ça. » Faute de réussir à rester sérieux face au visage décomposé du bonhomme, je finis par rire. J’ai le rire facile, en plus. « J’te jure, y’a pas de honte à avoir ! » j’articule entre deux éclats de voix. Arrêtes de rire, Gabe, tu vas finir par le faire fuir. Je me calme petit à petit. « Pardon. Désolé. On la refait, tu veux bien ? » Je tousse un peu, pour m’éclaircir la gorge. Puis je me lève et me penche par-dessus la table basse. Déjà que je suis pas petit, mais avec lui étant assis, je passe pour un géant. Le pauvre, c’est pas comme ça qu’il aura moins la frousse. « Moi c’est Gabriel. Je mange pas les Roux. Je préfère le fromage de chèvre. » Je lui tends une main, dans l’espoir que ce soit pas un de ces tarées qui ont la frousse des bactéries. Ca serait le pompon.