Depuis samedi, premier jour que j'ai passé dans la résidence, j'ai passé le plus clair de mon temps dehors. J'adore l'extérieur, et il fait beau en plus, alors je profite. Les lunettes de soleil sur le nez, je suis assise sur un petit muret, jambes ballantes. J'ouvre mon paquet de cigarettes, sors une clope, que je porte à ma bouche et l'allume avec mon petit briquet à fleurs. Liberty. C'est fou comme chacune de mes actions me font penser à Lily, Nate ou Josh... En balançant mes pieds contre le mur, je remarque un papillon qui vole autour du massif de fleurs. Il est grand et bleu électrique, du même bleu que la robe que je portais le soir du prime. Je le suis des yeux, nonchalamment, tout en tirant sur la cigarette. Un péché qui me perdra, la nicotine... J'entends des pas derrière moi, et distingue un parfum masculin derrière celui du tabac qui flotte dans l'air. En entendant l'homme approcher, je me retourne pour le regarder avancer. Gabriel. En me remémorant la soirée de vendredi, je lui tends immédiatement le paquet que je tiens entre les mains, le sachant fumeur. Je me décale ensuite, sur mon banc improvisé et tapote avec ma main livre à coté de moi, pour lui faire signe de s'asseoir. En jouant avec ma cigarette, je lui dis, sourire au lèvres : Alors, ces trois jours ?

« Intéressants. » Je me pose sur le muret, comme Lou m’y invite, son paquet dans une main. Je lui adresse un sourire, ravi de constater qu’elle se souvient que je fais partie du comité des fumeurs de l’émission. Ce qui fait que je passe pas mal de temps dehors, entre la lisière de la forêt quand mes jambes le veulent bien, la véranda où je regarde Marylin dans le blanc des yeux, et un peu partout dans le jardin. Cela me fait penser que je n’ai pas encore testé la piscine. Chose à faire. Malgré ces sorties, je n’avais pas souvent croisé Lou. Je prends volontiers une cigarette de son paquet –quoi que ce n’est pas très honnête, ayant déjà le mien. Elle atterrit sur mes lèvres, allumée et fumante. « Merci. » fais-je en lui rendant ses cigarettes. « Et toi, tu te plais ici ? » L’art de faire une conversation constructive, bravo.

Il s'installe près de moi et allume la cigarette qu'il a pris dans mon petit paquet. Après m'avoir remerciée, il finit par dire : Et toi, tu te plais ici ? Je tourne la tête, pour ne pas lui souffler la fumer à la figure, puis lui dis Que s'est-il passé pour que tu éludes ma question...? D'ailleurs tu m'fais penser à ce mec qui... Tout de suite, je m'arrête de parler et de bouger. Je le fixe l'espace de quelques millisecondes, puis me tape le front avec ma main gauche, celle qui n'est pas occupée par la cigarette. Je dis alors, enjouée, mais pas hystérique non plus : Mais bien sur ! Je savais bien que je t'avais déjà vu quelque part ! Enfin, entendu quelque part en l’occurrence... J'aurais du m'en rendre compte avant, franchement ! Oh et puis, un Gabriel, avec un accent anglais pareil et une voix douce et sexy comme ça, en Australie, ça doit pas courir les rues ! J'éclate de rire, d'un rire clair et fluide. Sa matinale, je l'écoute presque tous les jours en accompagnant Nate à l'école. Mon fils est fou de toi !

Avais-je éludé sa question ? Visiblement, oui. Je hausse les épaules, l’air de rien, en prenant une bouffée de tabac. Je ne suis pas compliqué au point de détourner les questions quand quelque chose ne vas pas ; je raconte ma vie, même quand tout le monde s’en fiche. Je suis relativement payé pour ça, après tout. Non, rien de spécial ne s’est passé. D’où ma réponse. Mais ça, je me garde de lui dire. De toute manière, elle enchaine déjà avec un silence, suivit d’une frappe sur la tête. Pardon ? Apparemment, elle m’a reconnu. Elle est bien la première, et ça n’est pas pour me déranger. Je me fiche bien qu’on me remarque parce que ma voix passe à la radio le matin. Néanmoins, je suis flatté par sa réaction. Et bien sûr, par le fait qu’elle trouve ma voix..sexy ? Seigneur. Un rire nerveux m’échappe, ma main passe sur ma nuque. « Eh bien, merci.. ? » La radio, c’est pas la télévision. Moins de chichis, votre figure n’est pas forcément connue, uniquement la voix. Maintenant, il y a un visage sur le gars de la matinale d’ABC. C’est assez étrange. « T’as un fils ? » je demande pour esquiver le sujet. Et puis, j’aime bien les gosses. C’est comme les chiens, je suis à l’aise avec eux –pardonnez la comparaison.

Je rie à son « Eh bien, merci.. ? » pas très convaincu, et réplique, toujours en riant : J'suis sure que j'ai l'air... conne, là, tout de suite... Mais c'est pas grave, après tout, ça sera pas la première fois. Il me demande ensuite si j'ai un fils, je réponds, des étoiles plein les yeux : Oui, il s'appelle Natan, et il a 5 ans maintenant... J'suis aussi divorcée, de son père, comme ça c'est dit. Je laisse échapper un gloussement. Lou, ou l'art de casser le mythe. Mais je m'en fiche, j'assume totalement, Nate, et Josh. Je regarde mon interlocuteur et dis, après voir aspiré une nouvelle bouffée de nicotine je lui dis : Ouais, je sais, c'est tout de suite moins sex... Mais vous, la voix mystère du morning, qui êtes vous? Je prends une voix plus suave et posée que précédemment pour dire cette dernière phrase. C'est vrai, à part ce qu'on entend à la radio, c'est à dire pas grand chose de réellement personnel, on ne sait rien de lui.

La voyant rire, je m’efforce de sourire. Je reste quand même assez gêné ; je ne suis pas habitué à ce qu’on ai ce genre d’illumination, que soudain on me regarde en disant « eh, vot’voix me dit quelque chose ! ». C’est comme les gens qui doublent les films. Ca doit leur faire drôle quand ils vont chercher leur pain et qu’un mec les arrête en disant « eh, vous seriez pas la voix de Johnny Depp ? » On pense pas être reconnu sur ce critère. Et encore moins avoir des fans de 5 ans. J’écoute Lou m’en dire plus sur son petit Nathan. Et enchainer avec son divorce. Elle trouve cela dévalorisant ; je la regarde, interrogateur. D’où est-ce qu’une femme divorcée aurait moins de valeur ? Ca m’échappe. J’hausse les épaules. Je pense qu’elle se fiche de mon avis. Je me contente de lui répondre ; « Je crois que y’a pas grand-chose à raconter. J’viens de Londres, arrivé depuis peut-être cinq ans. Du coup, mis à part des potes et mon chien, j’ai pas grand-chose sur ce coin du globe. » Mais y’a du soleil, c’est toujours mieux que l’Angleterre ; l’Anglais en prime. Je tire sur ma cigarette, lui adresse un regard. « Désolé de te décevoir, je crois qu’on peut difficilement faire plus banal que moi. » Quoi que.