▬ OCYLLIE & GABRIEL ▬


Une énième de mes promenades en solitaire qui se termine je ne sais où dans la forêt. J’apprécie ces moments où je quitte les villas, les autres, simplement pour marcher, traverser le jardin, rejoindre la lisière, et me foutre d’où mes pas me mèneront. Uniquement accompagné de mon paquet de cigarettes, j’avance en enchainant clope sur clope. Comme le drogué que je suis. Avec la fumée que je laisse sur mon passage, on pourrait me suivre à la trace. Mais pas l’ombre d’un candidat dans le coin. Il fait pourtant clair et doux. A travers mes lunettes de soleil, je perçois les nuages qui se décrochent du ciel sur fond de couleurs rougeâtres ; chose particulièrement sans intérêt, mais qui m’occupe l’esprit. J’arrive ainsi à un endroit d’où je peux entendre le courant de la rivière. Je ne pensais pas m’être autant enfoncé dans le bois. Mais puisque j’y étais, je m’approchais d’un peu plus près. C’était un joli coin, pensais-je en tirant sur ma cigarette. Dernière cigarette à laquelle j'aurai droit, sûrement, puisque mon paquet glissa de ma poche pour un aller direct dans l'eau. Foutu. " Putain d'merde, fais chier. " Que de vulgarités. Je ne m'en autorise que lorsque je suis seul. Le reste du temps, c'est une chose qui manque cruellement d’élégance. Même si je ne suis pas un modèle de classe. Je me baisse pour récupérer le paquet; une autre main s'en saisit avant moi. En relevant les yeux, je découvre Ocyllie face à moi. Bougon à l'idée de gâcher autant de tabac, et un peu gêné qu'elle m'ait sûrement entendu avoir un langage "peu châtié", je lance un ;" Te moque pas." Après tout, il faut être particulièrement doué pour faire tomber ses cigarettes de cette manière. Mais ce n'est pas comme si ça n'était pas bien connu que j'étais un grand maladroit.

J’arrivais à la rivière. Les raisons qui m’y avaient conduites m’étaient totalement inconnue. Une envie soudaine de me balader à travers cette douce nature. Peut-être. Ou peut-être était-ce le destin. Je me plaisais à me dire que, oui, le destin m’avait guidé jusqu’ici. Car j’y trouvai Gabriel. En vadrouille, lui aussi ; sans aucun doute. Je m’approchais, lentement, discrètement, mettant à nus mes somptueux talents de vicelarde. Je pus être spectatrice d’une scène pour le moins… risible ? En effet, le jeune homme observa son cher paquet de cigarette s’évader, tout droit dans l’eau. Trois ignobles mots de sa part plus tard, le précieux était en ma possession. Je me redressai, face à mon bien aimé. Un sourire fier et amusé s’étendait sur mon visage. Evidement, il n’en était pas moins moqueur. Il m’en fit d’ailleurs la remarque. ‘Te moques pas’, lança-t-il. Enfant. « Je ne me moque jamais de toi, voyons. » répondis-je, d’un ton soyeux, doux alors que je cherchais son regard. Je m’approchais un peu plus de mon partenaire, déposais l’une de mes mains sur sa joue, lui volais un tendre baiser. Je me retirais ensuite. « Ou presque. » ajoutai-je, d’un souffle, alors que ce sourire qui s’était alors volatilité reprit place sur mes lèvres. Je fis quelques pas en arrière, ouvris le bien de mon très cher, en sortis une clope. Par chance, elles n’avaient pas pris l’eau. Et par chance, j’avais justement oublié mes cigarettes en chambre. J’enfilai cette dernière entre mes lèvres, en approchais le briquet qui m’était fourni par la même occasion. Je l’allumais, tirais longuement sur cette malveillante petite chose, tout en observant Gabriel, un brin provocante, voire défiante. Bien que le narguer ne devait avoir aucun intérêt. Lui-même avec une cigarette entre les doigts. Sa dernière, certes.

A travers les verres teintés de rouge, Ocyllie n’était plus tout à fait blonde. C’en était étrange. Alors, en me relevant, je j’ôtais donc ces lunettes que j’accrochais au col de ma chemise. Le paquet de cigarettes demeure en la possession de la jeune femme ; à voir son expression mutine et malicieuse, elle ne comptait pas me le rendre. Bien entendu, j’entendais d’ici ses railleries intérieures. Je ne suis plus à ça près à vrai dire ; je me casse la figure en me balançant sur une chaise devant Elias, je glisse du canapé face à Cassiopée, j’en passe. Je mériterais le prix du plus grand nombre de gamelles, voilà tout. Au pire, je passais pour un peu plus idiot, ce qui m’arrangeait parfois. J’haussais donc doucement les épaules avant qu’elle s’approche pour me voler un baiser. Je le prolongeais un court instant, voulant toujours que ces contacts durent indéfiniment. « Ca ne change rien, tu me prends déjà pour un nul. » je réponds avec un sourire imperceptible. Et me demandant, au fond, à quel point cette phrase pouvait être vraie. Elle s’éloigna. Je ne cachais pas ma surprise lorsqu’elle sortit une cigarette intacte du paquet. Non, vraiment ? Intacte ? Je suis maudit. Ou presque. Ma tête tombe sur le côté, un sourire ironique trône sur mes lèvres. J’me fais avoir. Finalement, je fais les pas qui me séparent d’elle. « Mon cœur… » Première (sûrement dernière) fois que je l’appelle ainsi, le ton empli de dérision. « Puis-je récupérer mon paquet, s’il te plait ? » J’appuyais avec exagération sur la formule de politesse avant de tirer sur ma cigarette. Mais j’étais assez certain qu’elle refuserait.

Lui, nul ? Jamais. Qui oserait persifler une telle ânerie ? Evidement si, qu’il était nul. Mais bienheureusement, ça ne semblait marcher que par période chez lui. Et tout aussi heureusement, cela faisait déjà de nombreux jours qu’il n’avait pas replonger dans ses balourdises. Néanmoins je ne le prenais pour un nul. Sans quoi, je ne serais pas là. Je n’aime pas les nuls. Lui je l’aimais… bien ? Voire trop bien. De ce fait, il n’était pas nul, pas à mes yeux. A mes yeux il était bien plus. C’était comme une grosse caricature. Le genre de personne qui n’est pas réel. Ou uniquement pour moi. Mais pour reprendre. Je reculais. Il avançait. Deux mots sortirent de sa bouche. Deux mots qui me serrèrent la gorge. ‘Mon cœur’. Je redoutais qu’il m’appelle ainsi un jour. Même sorti de sa délicieuse petite bouche, je trouvais cela horrible, horrifiant. Moche, tout simplement. Accentués, ils étaient pires encore. Il continuait. Il voulait récupérer son paquet, sous une politesse grotesque. Pourquoi me le demander si lui-même avait déjà la réponse ? Je ne lui rendrais sûrement pas. Pas ainsi. J’hochais négativement la tête, insistante. « Qu’est-ce que tu m’offres en échange ? » demandai-je. Autant marchander. Je tirais longuement sur cette cigarette désormais mienne, soufflais grossièrement la fumée vers lui. Je reculais à nouveau, bien plus loin à présent. « Au pire tu peux toujours essayer de le chercher. » J’haussais doucement les épaules, innocemment. Je gardais une main dans le dos, l’autre trop occupée à guider vers mes lèvres ma cigarette.

Les phrases niaises, à la base, ce n’était déjà pas mon truc. Mais les phrases niaises exagérées jusqu’au grotesque, encore moins. Néanmoins, je n’étais pas sérieux, bien heureusement. A chaque pas que je faisais vers Ocyllie, celle-ci en faisait deux en arrière. Je m’arrêtais donc. Non, évidement, elle ne comptait pas me rendre ce qui est pourtant mon bien. Elle voulait quelque chose en échange. J’arquais un sourcil. Oui, mais quoi ? Elle en profitait pour me narguer en tirant sur cette cigarette volée. Et moi, naïvement, je cherchais quoi donner en échange de mon paquet. Sinon, je pouvais venir le chercher. Evidemment, cela ne sera pas aussi facile que ça. Je plissais les yeux, faussement agacé. « Et si on voyait plutôt de quoi je pourrais te priver si tu ne me le rendais pas ? » je répondais avec un sourire mutin. Le souci, c’est que j’étais certain qu’Ocyllie était plus forte que moi à ce jeu-là. Je pourrais menacer de la laisser seule avec elle-même ce soir qu’elle hocherait simplement les épaules comme si cela lui était égal –et cela pourrait même me vexer, alors autant éviter. « Bon, donne-moi ton prix. Petit déjeuner au lit ou dîner aux chandelles ? » Autant que savoir cuisiner me serve à quelque chose pour une fois. Et puis, je n’avais pas d’autre chose à proposer sur le coup. Je tentais aussi une approche, en faisant quelques petits pas en avant, l’air innocent.

Je doutais un instant. M’avait-il vraiment menacé ? Lui ? Me priver… de quoi ? De plus j’avais la certitude que de toute manière, il craquerait avant moi, et si il en veut la preuve, j’étais même prête à le laisser jouer le grand bonhomme. Néanmoins, il manquait de conviction ; personnellement, je ne le trouvais pas convaincant. Divulguer des menaces était un art que j’étais seule à pouvoir maîtriser ; un art que d’ailleurs je maîtrisais. Je lui montrerais un jour. Je ne répondis pourtant rien, me doutant qu’il allait passer à autre chose. Pour craquer il craqua. Que je lui donne mon prix. Je m’en mordillais le coin des lèvres. Ce ne sont pas les idées qui me manquent. ‘Petit déjeuner au lit ou dîner aux chandelles ?’, demandait-il. Vraiment ? « J’aimerais un chiot. » lançai-je, directement. Un sourire mutin se dessinait sur mes lèvres. J’en paraissais quasiment sérieuse. Quasiment, car le léger rictus qui s’échappait de ma gorge balaya toute trace de franchise. Non, mais vraiment, je voulais un chiot. « J’accepte à la rigueur un petit-déjeuner chez Tiffany, ou un dîner aux chandelles sur la tour Eiffel. » Je posais mes exigences. Qu’il s’y tienne. Sans quoi, il reverrait son paquet, peut-être, mais plus ses cigarettes.

La belle ne tarda pas à me répodre qu'elle voulait un chiot en échange de mes cigarettes. Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir articulé le mot « chiot » dans les options que je lui offrais dans ma phrase. Mais elle décidait qu’elle voulait une bestiole à poils. J’arquais un sourcil, aussi surpris que dubitatif. « Je ne suis pas certain qu’un paquet de clopes vaille un chiot. » je fais remarquer avec un rictus amusé, et en avançant d’un pas de plus. A peine assez discret. Peut-être plus sérieuse, mais pas plus raisonnable pour autant, Ocyllie pose ses exigences ; petit-déjeuner chez Tiffany –j’ai déjà entendu ça quelque part- ou dîner à Paris –pas que ce soit à l’opposé du globe, hein. Avec quelques nouveaux pas en avant, je fais mine de grimacer en réfléchissant. Ce qui devrait être assez drôle, en soit, Gabriel qui réfléchit. Petit à petit, j’arrivais non loin d’elle. « Désolé, mademoiselle Hepburn, mais pour le moment vous êtes coincée ici avec moi. Vous allez devoir faire avec, j’en ai peur. » J’articulais avant de porter la fin de ma (dernière) cigarette à mes lèvres. J’arrivais finalement face à elle, posais mon regard dans le sien et glissais délicatement une main sur sa hanche. « Toujours pas prête à accepter une de mes offres ? »

Il voyait vrai. Un paquet de clope de ne valait sûrement pas un petit chiot. Dommage. Je n’ajoutais rien ne plus ; ma déception était assez visible. Je remarquais qu’il s’avançait. Je n’y fis pourtant rien. Puis un nouveau pas. Un autre que je ne remarquais même pas au vu de l’étrangeté de son visage. Il réfléchissait ? Chose peu probable. Essayer, l’était plus. Je l’observais d’abord perplexe, avant qu’un délicat sourire étire mes lèvres. Mais il en était arrivé face à moi. ‘Désolé, mademoiselle Hepburn, mais pour le moment vous êtes coincée ici avec moi. Vous allez devoir faire avec, j’en ai peur.’, me dit-il. J’en soupirais un léger rire. "Mademoiselle Hepburn". J’aimais bien. Beaucoup même. Quoiqu’il en soit, quelques pas plus tard, il se tenait devant moi, une main sur ma hanche, son regard dans le mien. ‘Toujours pas prête à accepter une de mes offres ?’. Ainsi, il pensait que sa présence était assez influente pour me faire changer d’avis ? J’hochais négativement le visage, tout en joignant mes deux mains derrière mon dos, n’en restant pas moins méfiante. « Je mériterais que tu te consacres à moi toute une journée, voire toute une semaine. Pas que l’instant d’un repas, non ? » lui demandai-je, à mi-voix. J’en réduisais un peu plus l’écart qui nous séparait, avançais mon visage du sien pour ne déposer qu’un furtif baiser sur le coin de ses lèvres. « Mais aller, va pour le dîner aux chandelles, uniquement si je me charge du dessert. » ajoutai-je, malicieusement, en affichant un sourire en coin qui traduisait sans mal les sous-entendus de cette phrase. Et aussitôt, mes lèvres regagnèrent les siennes ; l’embrassant plus longuement, plus passionnément.

J’avais enfin mis un terme à cette distance qu’elle avait imposé entre nous à force de reculer pour mettre mes cigarettes hors de ma portée. Et pour qu’elle ne s’échappe plus, je l’amenais doucement contre moi à l’aide de cette main sur sa hanche, glissant peu à peu dans le bas de son dos, où elle avait ramené ses mains par méfiance. Peut-être faisait-elle bien de rester sur ses gardes. Avant de répondre à ma question, elle fit remarquer qu’elle mériterait que je lui consacre toute une semaine. Un rire de ma part s’échappe dans un souffle. « Je pensais être bien assez disponible, mais il suffit de demander. » je répliquais d’une voix douce, avec un léger sourire, avant de la laisser apposer légèrement ses lèvres aux miennes. Finalement, le dîner l’emportait. La belle jeune femme s’occuperait du dessert. Son sourire s’allongea, amusé. Une offre qu’on ne peut pas refuser. « C’est me prendre par les sentiments, tu sais que je suis friand de tes desserts. » Et dire que c’était censé être à moi de jouer les attentionnés. Elle m’embrasse à nouveau ; je l’encercle de mes bras et la serre légèrement contre moi en prolongeant un instant son baiser. Le temps de trouver ses mains qui tenaient encore mon paquet et de tenter de faire glisser celui-ci d’entre ses doigts pour le lui prendre délicatement. Ou tout du moins, essayer. Non, je n'oubliais pas mon premier objectif.

Il n’ait jamais assez disponible à mes yeux. Surtout quand il pose nu devant l’objectif de Cassiopée. Les rumeurs disent qu’elle souhaitait faire un calendrier sur les Dieux du stade. Gabriel était bien un Dieu, mais d’un tout autre genre ; beaucoup moins gratifiant. Enfin bon. Je n’ajoutais rien. La suite arrivait. Je posais mes conditions. Je ferais le dessert. Etait-il vraiment nécessaire d’ajouter que ce ne serait pas une tarte aux fraises ? J’en doute. A nouveau, je ne répondais pas. Mes lèvres étaient trop occupées contre les siennes. Et alors que je le sublimais d’un nouveau baiser, il m’encerclait de ses bras. Contre lui, je n’osais pas même imaginer les mauvaises intentions qui pouvait le hanter. Mais il me les fit très vite découvrir. La discrétion ou le tact n’était pas vraiment son fort, et rapidement, je remarquai son indiscrétion. Me voler le paquet ? Rêverie. Rapidement je me détachais de lui, le poussais en arrière d’une minable pression contre son épaule. « Privé de dessert, de cigarettes. » lançai-je, ahurie par son geste précédent. Je lui faisais dos, avançais vers la rivière de quelques pas pour finalement m’asseoir au bord de l’eau, sous un faux air mécontent. « et de tout le reste. » soupirai-je, en manquant pourtant de convictions. J’écrasai mon mégot sur le côté, sortais une nouvelle cigarette de son paquet, accentuant bêtement ce mouvement, ne serait-ce que pour le narguer un peu plus. Pour la peine je les enchaînerai ; ne serait-ce que pour avoir le fierté de vider son foutu paquet.

Je pensais pourtant bien assez délicat et discret pour pouvoir subtiliser le paquet de cigarettes des mains d’Ocyllie, ou bien simplement qu’elle me les cède, puisque nous avions désormais un deal ; je pensais mal. Forcément repéré, la jeune femme s’offusquait –faussement, j’espérais- et, finalement, en arrivait à me considérer comme un gosse en me privant de dessert –de son merveilleux dessert. Pire, de cigarettes. C’était la fin, pensais-je, je ne survivrai jamais très longtemps dans cette baraque sans ces deux éléments vitaux. Privé de tout. Je restais surpris quelques secondes, articulant bêtement un « Mais… » avorté, dans le vide. Moquez-vous, oui, je suis la victime de la belle. Quoi qu’en réalité, j’étais plus la victime de mes addictions, autant à cette foutue nicotine, qu’à elle. Sa la laisser plus longtemps prendre de la distance avec moi à nouveau, je la suivais et m’installais derrière elle de manière à pouvoir m’adresser à elle du creux de son oreille. « Donc tu te priverai toi-même de moi ? » je demande. Bien sûr que oui, idiot. Passant mes bras autour d’elle, je déposais un baiser furtif dans son cou. J’ajoutais avant qu’elle puisse répondre à ma précédente question ; « Et comment je survivrai, moi, sans toi, sans tes desserts, sans ton joli sourire, et sans cette manière que t’as de subtilement me faire comprendre que je suis un nul sans m’en vouloir ? Et sans tout le reste, hein ? » J’ajoutais à chaque couples de mots un baiser à chaque étape de son cou, sa mâchoire, sa joue pour finir sur le coin de ses lèvres.