Je suis encore un peu - d'accord, très - perturbée par le départ de Gabriel. La soirée d'hier m'a fait comprendre des choses qui m'étaient alors inconnues. Pour la première fois de ma vie je suis celle qui aime mais qu'on rejette. Ma tendresse pour Josh redouble en ce moment, c'est affreux ce que je lui ai fait subir. En même temps, je comprends Gabriel et ne peut pas lui en vouloir, j'ai déjà fait la même chose, plusieurs fois. Vous l'aurez compris, je ne parle plus de l'élimination là, mais de l'avant, avec Ocyllie. Quelle Conne Lou ! Mais maintenant il est plus là et je sais pas quoi faire... Comme quand j'ai envie de me concentrer sur quelque chose de concret, je prends mes trois balles de jonglage et joue avec. J'ai travaillé dans un cirque, à la billetterie un temps, et on m'a appris les rudiments de cet art... Je sais jongler, faire des bolas, et un peu de trapèze. Bref, je suis là, avec mes trois petites boules chacune marquée d'une lettre L.O.U. et je me balade dans la maison sans jamais en faire tomber une. J'arrive dans le salon, toujours concentrée, et regarde autour de moi. Au loin, j'aperçois Ocyllie. Merde, pas elle, j'veux pas la voir. Aussitôt je tente de tourner les talons, mais c'est sans compter mon orteil qui bute allègrement contre un coin. Je laisse échapper un petit cri et mes trois sphères multicolores tombent par la même occasion. Moi qui voulais être discrète, raté !

J’étais allongée sur une bonne partie du canapé. J’avais besoin d’une bonne sieste. Quelque chose où je puisse m’évader, me changer les idées. Je pensais à l’autre abruti. Il ne fallait pas que je pense à lui. Pourtant je le faisais. Encore et toujours. Je commençais à croire qu’il me manquait, malgré tout. Une semaine, ça va être long. Bien long. Si bien sûr je gardais en tête le fait qu’il allait rentrer vendredi prochain, à nouveau. De toute manière une autre solution ne serait pas envisageable. Il reviendra. Un point c’est tout. Je fermais les yeux. Pourtant, ce moment de confort ne dura que quelques minutes. Je me redressais au moment même où une sotte crie tout en faisant tomber je ne sais quoi au sol. Cette sotte c’était Lou. Je soupirai. Elle devait sans aucun doute se vouloir discrète. C’était raté. Totalement raté. J’observai au sol, trois balles. Quoi, elle jonglait maintenant ? « Je te préférais quand tu chialais. » Référence saugrenue au prime de vendredi dernier. En effet, j’avais rarement vu une demoiselle dans un si piteux état. « Au moins on t’entendait pas. » ajoutai-je en haussant les épaules. « D’ailleurs où sont passés tes mouchoirs ? Tu t’es déjà remise de ta connerie ? » lui demandai-je. Je ne me voulais pas particulièrement douce. Elle ne me donnait pas la moindre raison de l’être. Surtout avec elle.

Blondie m'agresse. Ocyllie, pardon, j'oubliais. Je ne chialais pas. Une larme a coulé, UNE seule, franchement comment ça se fait que tout le monde ait vu cette malheureuse gouttelette d'eau, c'est fou quand même. Je choisis d'ignorer les remarques qu'elle me fait, mais rebondis tout de même sur la fin de sa phrase : Mais toi en tout cas ça va, t'as l'air de t'être bien remise! J'donnerais tout pour voir la tête de Gaby quand il va voir ces images à la télé et se rendre compte à quel point tu t'en fous, en fait. Je suis dure ? Ouais, je sais, mais elle l'a cherché. Et puis franchement, elle m'a pas l'air très attristée, si ? J'enchaine alors : J'ai pas à m'justifier auprès de toi. J'ai fait une connerie ce soir là, c'est d'avoir laissé tomber ma première intention qui était de te donner le téléphone, à toi, et pas à Gabriel. Mais te voile pas la face, blondie, on sait aussi bien l'une que l'autre que c'est à lui que tu aurais passé le combiné également. Qui d'autre, sincèrement ? Le résultat aurait été le même, mais c'est tellement plus facile de se défouler sur quelqu'un que de reconnaître qu'il ou elle n'y est pour rien.

La tigresse sortait de ses gongs. Si évidement, nous pouvions avoir l’audace de la traité de tigresse. Elle me faisait plus penser à un chaton. A un petit chaton qui crache. Un chaton vicieux qui se croit surpuissant. Oui, c’était tout à fait elle. Je suivais son monologue, attentive. J’attendais qu’elle finisse. Je m’en foutais, d’après elle. Sous prétextes que je ne pleurais pas, je m’en foutais. Grotesque. Pleurer, ça ne sert à rien. Et en plus, c’est pour les faibles. Puis elle continuait. Elle n’avait pas à se justifier, disait-elle. Pourtant elle le faisait. Grotesque, disais-je ? Je soupirai doucement quand elle disait que j’aurais fait de même. « Et ? » lançai-je directement en haussant les épaules. « C’est pas ce que j’aurais ‘peut-être fait’ qui l’a mis dehors, c’est toi. » ajoutai-je, insistant grossièrement sur ‘toi’. C’est vrai, pourquoi venait-elle sur des suppositions loufoques et inutiles. Là n’était pas la question. C’était sa faute, point. « Mais je me demande tout de même ; tu ne te trouves pas ridicule ? » Je la regardais, consternée, un sourcil arqué. « Je veux dire, regardes toi : amoureuse d’un type qui ne te veut pas, que tu as d’ailleurs dégagé en espérant qu’il te remarque un peu ; jalouse, frustrée, vexée, et qui, comme un comble, n’assume rien. » Ca ne se devinait plus, ça se confirmait : je ne l’aimais pas, et en rien je ne souhaitais lui faire comprendre le contraire. Tout ce que je lui crachais, elle le méritait, d’une manière ou d’une autre.

J'aurais assassiné son chien qu'elle aurait réagi de la sorte. Une furie la nana, j'vous jure. Ca fait longtemps que je me suis pas engueulé avec quelqu'un, ça va faire du bien, ouais. « C’est pas ce que j’aurais ‘peut-être fait’ qui l’a mis dehors, c’est toi. » Je la regarde, les yeux ronds, comme des billes : Mais où est-ce que tu veux en venir là ? J'espère que tu te rends compte que c'est complètement insensé ce que tu dis !? N'importe quoi, wha l'autre quoi ! « Mais je me demande tout de même ; tu ne te trouves pas ridicule ? » Je toussote, volontairement, puis dis avec un air et un ton sarcastique : Ridicule? En attendant c'est pas moi qui m'excite pour rien sur quelqu'un qui faisait que passer... C'est quoi, la politique de l'espace vital, hein ? Hitler va. Je soupire intérieurement mais reste totalement zen de l'extérieur. Personne n'a besoin de savoir que je bouillonne. Je préfère garder mon image de bout de femme en paix avec elle même et toujours pleine d'entrain. Je ne suis pas une furie, moi. « Je veux dire, regardes toi : amoureuse d’un type qui ne te veut pas, que tu as d’ailleurs dégagé en espérant qu’il te remarque un peu ; jalouse, frustrée, vexée, et qui, comme un comble, n’assume rien. » Je rie alors, toujours ironique, puis dis, lentement : Non mais t'as vraiment rien dans l'ciboulot, en fait, c'est pire que ce que je pensais. Nan mais franchement, t'es sérieuse ou bien tu fais de l'audimat pour être recrutée pour remplacer Victoria dans la roue de la fortune? Parce que niveau QI, j'ai bien l'impression que vous vous valez... La voix toujours posée, et je tiens en équilibre, dans l'encadrement de la porte. Et de quoi tu parles, d'abord. Assumer, y'a quoi à assumer là dedans ? J'ai décroché un putain de téléphone et j'ai filé le combiné à ton cher et tendre, voilà tout. Je l'ai pas poignardé ou j'sais pas quoi, okay ? Rentre toi ça dans l'crâne, t'es gentille.

Elle osait dire que j’étais insensée ?! BLASPHEME ! Mais elle osait. Sacré culot. Je dirais presque que c’était un paradoxe que le mot ‘insensé’ puisse sortir de sa bouche. Et moi qui était, jusqu’à présent, restée gentille avec elle, elle venait tout droit de me donner l’autorisation de me défouler, et sans mentir, j’en crevais d’envie. Je ne lui répondis pas, le sujet était déjà passé. Et c’est avec autant d’intérêt –à savoir, aucuns- que j’écoutais sa réplique frivole, au milieu de deux de mes mots. Elle allait donc me reprendre mot par mot, les uns après les autres. Oui, elle était ridicule. Oui, elle l’est toujours. Non, elle n’y changera rien ainsi. Bref, je n’y fis même pas plus attention. Et vint : Lou, version 2 ! D’une seconde à l’autre, elle avait totalement changé, ou du moins de tactique. Maintenant, elle m’attaquait, m’insultait… Je ne cherchais même pas à comprendre pourquoi, j’en tirais simplement des conclusions : Comme quoi, c’était sûrement pas moi qui avait rien dans ‘l’ciboulot’. Concernant les blagues pas drôles, je lui mettais un sept. Pour l’interprétation loufoque, un huit –parait qu’heureusement le ridicule ne tue pas. Et bon, un six en créativité, parce que Victoria de la roue de la fortune… fallait y penser ! Je pouffais un léger rire sur la fin de sa réplique. Trêve de plaisanterie. Je me levai, parce qu’à présent, ce spectacle méritait que je prenne de la hauteur. « ‘Mon cher et tendre’… » Je la répétais parce que réellement, je trouvais ça drôle venant de ses lèvres, tout en m’approchant de quelques pas. « … c’est sûr qu’en tout cas c’est pas le tien... Mais c’est bien ; il était temps que tu t’en rendes compte. » Je soupirais longuement. « Regardes plutôt du côté des octogénaires, tu devrais avoir toutes tes chances ! en plus d’avoir des problèmes d’auditions, en général, ils ont aussi des problèmes de vu… ça devrait aider. » Petite parenthèse fermée. Je revenais sur le sujet. « Non mais sérieusement, grand-mère, tu te prends pour qui à me parler ainsi ? » Oui, je redevenais sérieuse, sous un ton pourtant serein. « Toi, ce que tu vas te rentrer dans le crâne, c’est que t’es plus rien, ni même ici, ni même dehors, pour personne. Et c’est pas en jouant la vedette que ça arrangera quoique ce soit. » Une vedette. Oui, cette fille était une vedette. Je continuais aussitôt. « Alors pense un peu à ton fils, tais toi et garde le peu de dignité qu’il te reste, ‘t’es gentille’. » j’imitai son expression bien niaise et cocasse.