▬ CASSIOPEE & GABRIEL ▬
Dimanche 20 Mai – 1h

Petite insomnie. Pour une fois que Clev ne ronfle pas aussi fort que d’habitude, je pourrais dormir tranquille. Mais je ne ferme pas les yeux. Je réfléchis. Je tourne et me retourne dans mon lit, jusqu’à ce que je me dise qu’avec une telle bougeotte, c’est moi qui vais réveiller toute la chambrée. Autant faire un tour. Je quitte mes draps et, aussi silencieux qu’à pu constater Abbie que je suis, je me glisse dans les couloirs de la première villa. Je fais quelques pas comme un fantôme errant sans but. C’est le cas, je sais pas quoi faire de moi-même. Le hasard me conduit dans la cuisine. J’y suis, j’y reste ; je m’allonge sur un plan de travail et, ayant pris mes cigarettes avec moi, m’en allume une. Peut-être que le sommeil viendra. Au pire, je me fiche d’être trouvé là demain matin. Au pire, je dormirai pas ce soir.

Maudit cauchemar. Cassiopée venait de se réveiller en sursaut suite à un rêve qui n'était pas vraiment joyeux. Assise en tailleur sur son lit, les draps recouvrant ses jambes, elle regardait tout autour d'elle. Seul le lit de Blake était vide, tous les autres se trouvaient dans les bras de Morphée. Elle ne se sentait pas vraiment en sécurité dans cette pièce. Elle étouffait, un petit peu comme si elle sentait que quelque chose allait venir l'attaquer dans les minutes à venir. Sans réfléchir, elle posait ses pieds nus sur le sol froid avant de s'aventurer dans le château en essayant de faire le moins de bruit possible. Boire un verre d'eau lui ferrait le plus grand bien pour retrouver le sommeil et se calmer un petit peu. Le coeur de la gamine cognait contre sa poitrine. Elle ne pouvait s'empêcher de retenir sa respiration à chaque ombre qu'elle voyait pour pousser comme un soupir de soulagement par la suite. Elle poussait la porte de la cuisine. Une petite lueur rouge attirait son attention dans le noir absolu. Oh non, ça n'allait pas recommencer. Réflexe. Cassiopée ne pouvait s'empêcher de pousser un cri des plus glacial au bord des larmes, presque sur le point d’appeler sa maman à l'aide. Non, mais sérieusement, c'était quoi encore ce truc ? Satan sort de cette baraque.

Un cri perçant, glacial, me sort d’une torpeur durement gagnée contre les démons de l’insomnie. Dommage, ça ne sera pas pour cette fois. J’ouvre les yeux, en sursaut. Mes doigts lâchent ma cigarette qui me tombe dessus et vient me brûler le torse, une T-shirt manquant sur mes épaules. Une expression de douleur m’échappe. Ca ne sera pas la première ni la dernière fois que je me brûlerai avec ma cigarette, mais ça n’empêche que ça fait mal. Je la récupère vite avant de m’assurer une jolie marque sur la peau. Putain. Redressé, assis, je lance un « Eh, merde. » d’exaspération. Mais c’est quoi cette folle qui se met à hurler dans la cuisine au milieu de la nuit ? Je lève le regard et le pose sur la silhouette devant moi. Je devine les formes de la petite Cassiopée. « Cassy ? » Je passe une main dans mes cheveux, glissant ensuite sur mon visage pour me réveiller puis sur ma nuque. Y’a plus confortable qu’un plan de travail de la cuisine pour dormir, n’empêche. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Tilt trois ans après les bataille, je comprends enfin qu’elle avait hurlé parce que nous sommes dans le noir. Elle n’y voit rien, et n’a pas dû me remarquer avant d’apercevoir ma cigarette qui brûlait. Je soupire. « C’moi qui t’ai fait peur ? Désolé. »

Bordel, mais c'était quoi encore cette lueur rouge qui brillait au beau milieu de la pièce ? Le cri n'était pas volontaire, elle n'avait pas réussit à se contrôler. Après un cauchemar des plus horribles, voilà maintenant que le diable faisait son apparition dans la villa. Il fallait la comprendre, elle était fragile la petite Cassiopée. Un bruit sourd se faisait entendre, comme si quelqu'un venait de bouger. Elle n'était vraiment pas rassurée et comme pour se protéger elle venait coller son dos contre le mur qui se trouvait à quelques centimètres d'elle. La brunette n'osait pas bouger, n'osait pas respirer. Une voix familière s’élevait. Elle fronçait les sourcils. Non, elle ne semblait pas rassuré. Cette voix prononçait son prénom, ou plutôt l'un de ses nombreux surnom. Gabriel. Il ne lui en fallait pas plus pour reconnaître la personne qui se trouvait là au beau milieu de la nuit. Il enchaînait les questions. Qu'est ce qu'elle foutait là ? C'était plutôt à lui de répondre à ça. S'il lui avait fait peur ? Non, beh non, elle s'amusait souvent à crier comme une folle. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de déglutir péniblement tout en posant ses doigts sur l'interrupteur. Et la lumière fut. L'éblouissement était fort et elle plissait les yeux quelques instants avant que ses yeux clairs ne viennent scruter la silhouette de Gabriel. « T'es tout seul ? » demandait-elle entre deux larmes qu'elle tentait de refouler. Elle ne bougeait toujours pas. La peur la paralysait totalement.

La petite Cassy s’est plaquée contre le mur derrière elle. J’ai dû lui faire une peur bleue, c’est con. C’est que je suis tellement habitué à passer ma journée la nuit que je ne fais plus attention à l’obscurité. Pauvre chou. Son doigt appuie sur l’interrupteur. Je grommèle et je cache le visage de toute cette lumière comme un véritable vampire. Ca attaque la rétine, autant de lumière soudainement. Un juron m’échappe. Fais chier. Entre mes doigts, j’essaye de laisser mes yeux s’habituer à nouveau à l’environnement en couleurs. Cassy me demande si je suis seul. Elle a pas les yeux en face des trous pour poser une question aussi conne, est-ce qu’elle voit qui que ce soit avec moi ? « Bien sûr que je suis seul. » je siffle entre mes dents, froid, mais sans m’énerver. L’éblouissement passé, mon regard se pose enfin sur la jeune femme, toujours contre son mur. Je vois sa mine déconfite, pétrifiée. Alors je quitte le plan de travail sur lequel j’étais logé et fais quelques pas vers elle. « Enfin, plus maintenant. » j’ajoute, plus doux, avec un léger sourire. « T’as la gueule de la fille qu’à vu un fantôme. » je fais remarquer en posant un baiser sur sa joue, pour qu’elle me pardonne la peur que je lui avait faite.

Comme à son habitude Cassiopée ne venait pas de faire preuve d'intelligence en posant une question aussi stupide que ses pieds. D'ailleurs, la réponse de Gabriel avait le don de pétrifier un petit peu plus la gamine dont les petits poings venaient se serrer. Elle pouvait sentir ses oncles s'enfoncer dans la paume de sa main, mais elle ne disait rien. Après tout, il pouvait très bien se trouver en compagnie du grand méchant loup ou de la vilaine sorcière de Blanche Neige. Il pouvait très bien être possédait par un esprit malfaisant aussi. Elle ne voulait pas savoir et elle ne comptait même pas lui poser la question. Il se levait pour faire quelques pas en direction de la jeune femme qui ne bougeait toujours pas. Elle ne le quittait pas des yeux, le regardant avancer vers elle. Il ajoutait qu'il n'était plus seul à présent et sur le moment la brunette ne pouvait s'empêcher de regarder vers la porte avant de réaliser qu'il était en train de parler d'elle. Elle passait déjà pour la folle de service, alors un petit peu plus ou un petit peu moins c'était pareil maintenant. Après lui avoir fait remarqué qu'elle avait la tête d'une nana qui venait de voir un fantôme, voilà qu'il déposait un baiser sur l'une de ses joues. La gamine fermait les yeux un très court instant avant de poser son regard azur sur le plan de travail sur lequel se trouvait Gabriel quelques minutes plus tôt. « Je ... J'ai fais un cauchemar. » bafouillait-elle d'une toute petite voix avant de se laisser glisser contre le mur pour se retrouver assise sur le sol, ses jambes ramenaient vers elle.

Moi je pense que cette fille n’est pas toute seule dans sa tête. Mais bon, on s’en fiche. Elle avait une petite mine. La peur que je lui avait faite aurait dû passer maintenant, je ne suis pas aussi effrayant que ça. Alors je me doute que son état date d’un peu plus tôt. Elle m’avoue alors qu’elle a fait un mauvais rêve, et se laisse glisser le long du mur. Cassy se retrouve assise par terre. Je dois dire que j’aime bien avec de jolies filles à mes pieds, mais pas de cette manière. Elle me rappelle plutôt ma sœur. Un sourire attendri étire mes lèvres. « J’vois, t’as besoin d’une thérapie post-cauchemar. » La thérapie post-cauchemar consiste à servir un verre de lait au miel avec quelques petits beures à tremper dedans. C’est une recette qui a toujours marché dans la famille, avec moi, et le reste de la fratrie. Vu que j’ai un doute sur le fait que Cassiopée puisse aimer le miel, je me contente simplement de lait. J’en sers deux verres, et rapporte une boîte de petits Lu. Oui, je suis un fanatique du petit Lu. Tout ceci sur un plateau, j’assieds par terre avec elle, dos contre le mur, et pose le tout face à nous. « Et voilà, princesse. Besoin d’autre chose ? » Je lui adresse un sourire réconfortant avant d’ajouter ; « Je suppose que t’as pas envie d’en causer, hm ? »

Parce qu'avouer qu'on venait de faire un cauchemar c'était tout simplement le honte, mais vous pensez sincèrement que Cassiopée avait eu le temps de réfléchir à ça avant de le confier à Gabriel. Non. A vrai dire, la belle ne réfléchissait pas souvent et puis de toute façon elle n'était plus à une humiliation près. Elle ne disait rien, se contentant de lever les yeux vers son camarade lorsqu'il prenait la parole une nouvelle fois. Une thérapie post-cauchemar ? Euh c'était quoi ça ? Elle ne tardait pas à avoir sa réponse. Tel un chevalier, Gabriel revenait avec un plateau sur lequel se trouvait tout un tas de petits Lu - décidément - ainsi que deux verres de lait. Besoin d'autre chose ? Euh ... Elle hochait la tête de droite à gauche pour dire que non alors qu'un tout petit sourire timide se dessinait sur ses lèvres en guise de remerciement. Un sourire qui s'envolait bien vite. Il venait de s'installer juste à côté d'elle et sans se poser de question, la gamine venait poser sa tête sur l'épaule du candidat. Envie d'en parler ? « Pour que tu me prennes pour une folle, non. » disait-elle d'une toute petite voix tremblante avant de fermer les yeux un très court instant. Le craquement du bois venait la faire sursauter et le mettre mal à l'aise une nouvelle fois.

Immédiatement après m’être assis à côté de Cassiopée, celle-ci posa sa tête sur mon épaule. J’en profitais pour passer mon bras autour d’elle, créant ainsi une petite étreinte pour la réconforter. Du bout des doigts, je jouais avec une des mèches de ses cheveux, à l’enrouler, et la laisser glisser, et ainsi de suite. De l’autre main, j’attrapais un biscuit. Moi, les petits beures, c’est une grande histoire d’amour qui a aussi commencé avec un cauchemar, et une thérapie post-cauchemar. Mais c’était il y a plus de vingt ans. J’en gardais néanmoins un beau souvenir. Je proposais ensuite à Cassiopée de me raconter son rêve, quoi que je savais déjà parfaitement qu’elle allait refuser. Les gens refusent toujours, soit de peur d’être jugé en tant que dingue, que peureux, pleurnichard. Par fierté en somme, ce que je respectais. « Tant pis. On peut aussi bien parler d’autre chose. » je fais en haussant légèrement l’épaule. Mes doigts ne cessaient de jouer. « Mais j’te prendrais pas pour une folle. Après tout, un jour, j’ai rêvé que j’étais un stick de colle UHU. En me réveillant, j’avais ce goût atroce de colle dans la bouche. Affreux. » Ne me demandez pas comment je sais quel goût à la colle, merci.

Sans en avoir l'autorisation, Gabriel passait l'une de ses bras autour de la demoiselle. Cela ne la dérangeait nullement, elle se sentait un petit plus en sécurité depuis quelques secondes. La présence rassurant d'un homme à ses côtés, très certainement. Il jouait avec l'une des mèches de cheveux de la belle avant que la gamine ne refuse de lui raconter son cauchemar sous prétexte qu'il allait la prendre pour une folle. Remarque, c'était peut-être déjà le cas. Les lèvres de la brunette s’étiraient lorsque il lui parlait de l'un ses rêves. Un stick de colle UHU ? Finalement, Cassy ne devait pas être la seule à avoir des petits bonhommes dans sa tête. Elle levait même les yeux vers le visage du garçon durant quelques secondes lorsqu'il racontait son aventure. Si seulement, la néo-zélandaise avait eu la chance de rêver de quelque chose dans le genre, mais donc dans ses rêves à elle il faut qu'il y ai du sang, des zombies et qu'elle soit en train de courir pour échapper à des loup-garou qui avait envie de la dévorer toute cru. Autant vous dire qu'elle aurait largement préféré un gout de colle dans la bouche au réveil. Machinalement, son regard se posait sur la fenêtre. Il faisait noir dehors et seule la lune pointait le bout de son nez. Oh non, la pleine lune. Elle se serrait un petit peu plus contre Gabriel. « C'est bien d'être un tube de colle ? » demandait-elle presque à voix basse. Stupidité quand tu nous tiens.

A un moment, Cassiopée vint se blottir un peu plus contre moi. J’étais assez curieux de savoir ce qui l’effrayait, et d’un autre côté je me voyais mal insister auprès d’elle pour qu’elle veuille bien parler. D’une, parce que je suis pas psy. Deux, parce que si elle veut pas, alors ainsi soit-il. Je me contente de lui faire comprendre que je suis assez mal placé pour juger de la folie des rêves des autres. Oui, un soir, j’ai rêvé que j’étais un bâton de colle. J’avais neuf ans, hein, alors n’allez pas vous demander ce que ce dingue avait bu ou fumé ce jour là. J’étais encore innocent –et dit comme ça, ça a l’air de remonter à encore plus loin. Cassy me demande ce que c’est d’être un stick uhu. J’hausse les épaules. « Mieux que d’être un rouleau de PQ. » Obviously. Un instant, mon regard glisse sur la jeune femme. Elle fixe la fenêtre. Pour ma part, mes doigts jouent toujours ses cheveux. Ca leur fait passer le temps. « Je me demande… si t’es pas juste une bonne actrice qui fait mine d’avoir un syndrome de Peter Pan. » Non, je ne dis pas ça pour être méchant. Je dirais même que je pense tout haut, en réalité. Mais c’est un doute qui plane sur elle depuis que nous sommes ici.

Il continuait de jouer avec une mèche de cheveux de la gamine. Elle scrutait la fenêtre sans dire un mot. Un blanc s'installait avant qu'il prenne à nouveau la parole. Pardon ? Cassiopée une comédienne ? La brunette fronçait les sourcils tout en relevant la tête pour jeter un coup d'oeil en direction de Gabriel. Il était sérieux là ? Sans le vouloir, elle donnait un petit coup de pied dans le plateau qui se trouvait devant eux, envoyant un verre de lait buter contre le carrelage. Elle posait ses mains sur le sol pour se lever, mais à peine, juste pour se décaler un peu plus loin, pour se défaire de l'étreinte du garçon. « T'as cas dire que je profite de toi et de ta gentillesse aussi. » lâchait-elle sur un ton sec en même temps qu'elle ramenait ses jambes vers elle pour les encercler de ses bras. « Remarque, ça reviens au même. » concluait-elle à voix basse. Elle restait droite comme un i, contre le mur à regarder les meubles qui se trouvaient en face d'elle.

La réaction de Cassy est immédiate, et mauvaise. Son pied dérape vers le plateau ; un verre chute et se vide par terre. La jeune femme se relie sur elle-même, genoux contre la poitrine. Elle me répond sèchement, en s’éloignant de moi. Il semblerait que je l’ai vexée. Je ne me rends jamais compte lorsque mes paroles sont déplacées ou blessantes. Tant de fois je devrais garder ma bouche fermée. Et pourtant, ma pensée finit par traverser mes lèvres. Je me retrouve donc avec des amours comme Cassiopée qui s’éloignent de moi. Je soupire en renversant ma tête en arrière, contre le mur. « Cassy… » je souffle en faisant rouler ma joue sur mon épaule pour que mon regard se pose sur elle. « C’est pas ce que je voulais dire. » je dis avec sincérité. Je mets une bonne minute à, pour une fois, réfléchir aux bons mots à aligner pour faire comprendre ma maladresse et donc mon intention de départ. Ce n’est pas un exercice facile pour moi. Finalement, avec un peu de mal, je reprends ; « En fait, je t’apprécie beaucoup. Et vu que je commence à m’attacher un peu à toi, je me demande juste si tu es vraie avec moi. » Nous sommes dans un jeu, qui sait qui s’est donné un rôle à jouer depuis le début ? Fuyant, mon regard s’est finalement posé sur le plafond pendant que je parlais. Parfois je me mordillais la lèvre, nerveux.

La gamine s'éloignait du garçon, s'enlevant en même temps de l'étreinte qui les unissait. Elle lui répondait d'un ton sec, voire même mauvais. Ouai, Cassiopée était le genre de nana impulsive qui n'appréciait pas qu'on puisse remettre en cause sa sincérité. Son dos se courbait légèrement pour qu'elle puisse venir poser son menton sur le plat de ses genoux. Elle ne se tournait pas vers Gabriel lorsqu'il prononçait son prénom, ne lui adressait même pas un regard. C'était tout juste si elle avait envie de l'écouter, mais elle ne pouvait pas faire autrement à moins de se bouger les oreilles et de se mettre en chanter l'hymne du pays en breton. Ah c'était pas ce qu'il voulait dire ? Ouai, comme si en plus de sa la brunette était une idiote qui comprenait rien. Pfff, pauvre mec. Un blanc s'installait entre eux. Il n'était pas bien long, mais plutôt pesant. Il reprenait en venant lui apprendre qu'il l'appréciait et qu'il commençait à s'attacher à elle et que donc il se demandait si elle sincère avec lui. Blah. Blah. Blah. Un rictus moqueur se dessinait sur les lèvres de la belle. « Et tu demandes ça à tout le monde ou je suis la seule ? » demandait-elle toujours aussi sèchement qu'au début. Le fait que Gabriel doute sur elle ne venait pas rassurer la demoiselle. Elle poussait un soupir tout en se levant. La porte d'un placard claquait, puis une autre. Un verre. De l'eau. Elle se tenait debout devant l'évier, dos au candidat.

Des fois, j’aimerais arrêter de merder aussi facilement. Qu’on me couds la bouche, qu’on me soude les lèvres, ou simplement qu’on invente un appareil qui me donnerait une gifle dès que je penserais à une connerie et que je serais sur le point de la dire. Des fois, j’aimerais aussi avoir assez de jugeote pour savoir quand je ferais mieux de me taire. Ca épargnerait mes joues. Cassiopée ne daigne pas m’adresser le moindre regard. Tant pis, je continue de fixer le plafond. Et intérieurement, je tabasse ma fierté contre les parois de mon crâne en répétant « Crétin, crétin, crétin… ». La jeune femme ne me croit pas plus que ça, je le devine à sa froideur lorsqu’elle s’adresse à moi. Puis elle se lève et s’éloigne. Je suis tenté de faire de même, en allant à l’opposé. La laisser là, puisqu’elle ne daigne pas me regarder et encore moins croire en ma bonne foi. Comment pourrait-on me reprocher de me méfier lorsque je m’attache à quelqu’un, alors que nous sommes tous enfermés dans un jeu ? Et maintenant, quelle réponse attends-t-elle de ma part ? Laquelle la ferait me croire ? Elle a certainement déjà décidé que j’étais un idiot, doublé un salaud. Je soupire. Dans ce cas, qu’importe la réponse, n’est-ce pas ? Je me contente de dire avec franchise que ; « T’es la seule. » Mais loin d’être l’unique candidat dont je me méfie. Je me lève à mon tour et attrape le rouleau de sopalin pour nettoyer le carrelage couvert de lait. Je soupire à nouveau, sans rien ajouter. Je pense que, quoi que je dise, ça ne fera que m’enfoncer.

Cassiopée était une gamine et ce n'était un secret pour personne. Évoquer ce fait en parlant du syndrome de Peter Pan ne la fâchait pas. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'en parler, mais reconnaissait volontiers qu'elle n'avait pas vraiment envie de grandir, qu'elle préférait largement s'enfermer dans son petit monde où les mecs véreux laissent place à de véritables princes charmants et où les animaux peuvent communiquer avec les humains. La demoiselle était dans sa bulle, mais elle savait très bien retrouver son sérieux et faire preuve de maturité lorsqu'il le fallait. Seulement, elle n'avait pas encore eu l'occasion de le prouver au sein de la villa. C'était le fait que Gabriel vienne la qualifier de comédienne qui la dérangeait et l'affectait. Elle n'avait jamais été aussi sérieuse de toute sa vie. Enfin ... on se comprends. « Gabriel. » Sa voix était plus douce. Elle se tournait pour lui faire face avant d'appuyer son bassin contre le rebord de l'évier. Elle regardait le lait qui se trouvait sur le sol. Merde. Les gens devaient la prendre pour une lunatique. Attrapant une éponge, Cassiopée se pressait de se mettre à genoux face à son camarade. Elle posait ses yeux clairs sur lui. « Je suis sincère depuis le début. Je t'apprécie réellement et je ne vois pas pourquoi j'aurais envie de jouer un rôle avec quelqu'un comme toi. » Aussitôt dit, la demoiselle commençait à éponger le liquide qui se trouvait sur le sol. Quelle catastrophe ambulante cette nana.

Dans ma tête continuait de résonner le mot crétin tandis que j’essuyais l’inondation de lait par terre. Je n’osais plus rien dire, je faisais mine que Cassiopée n’était pas là. Je comptais simplement nettoyer, puis m’en aller. Mais la jeune femme prononça mon nom, et je n’ai pas pu m’empêcher de relever les yeux vers elle. Je m’arrêtais et l’observait comme pour demander ce qu’elle me voulait. J’étais surpris de voir qu’elle attrapa une éponge et qu’elle s’approcha pour finalement mettre les genoux à terre et m’aider à réparer la catastrophe. Ceci, dans tous les sens du terme. Elle se mit à avouer qu’elle a toujours été sincère avec moi. Qu’elle m’apprécie. J’esquisse un sourire, un peu honteux. Nous nous remettons à éponger le sol jusqu’à ce qu’il ne reste plus une trace de la maladresse. « Désolé d’en avoir douté. » je reprends une fois que nous avons terminé, tandis que je nettoie l’éponge sous l’eau du robinet. « Tu dois me prendre pour un idiot. » Ca, elle avait le droit d’acquiescer. J’passe pour un idiot autant qu’elle passe pour une folle. On tient une bonne paire.

Remise en cause. Dans la tête de la jeune femme, il y avait tout un tas de question plus loufoques les uns que les autres qui venaient se bousculer. Peut-être qu'il était temps qu'elle fasse encore plus d'efforts pour sortir de l'enfance, pour être enfin une femme ? La demoiselle ne devait pas réellement avoir saisit la définition du mot adulte. Elle n'avait très certainement pas comprit ce que cela voulait dire. En y pensant, une petite moue boudeuse venait s’emparer du visage de Cassiopée. Elle continuait d'éponger le lait qui se trouvait sur le carrelage sans oser croiser le regard de Gabriel. Le silence était pesant, pourtant la jeune femme n'était pas sur le point de le briser. Finalement, c'était lui qui venait ouvrir la bouche pour parler. Ainsi, il était désolé. Elle ne répondait pas tout simplement car elle n'avait rien à dire. Il continuait. Elle haussait les épaules à ses paroles. Elle avait reprit sa place initiale contre le mur. Ses genoux tout contre sa poitrine, elle les serraient comme si sa vie en dépendait, comme si elle voulait se protéger de quelque chose. « De toute façon, tu n'es pas le premier à me faire ce genre de réflexion. C'est juste que je n'y attendais pas et encore moins de ta part. » lâchait-elle d'une petite voix tremblante.

Les paroles de Cassiopée suffisent amplement à me faire cesser de culpabiliser. De toute manière, je ne suis pas du genre à m’en vouloir pour quoi que ce soit très longtemps –donc je passe pour un salaud, ça c’est fait. Ce n’est pas pour rien que je dis que tout me passe par-dessus la tête. C’est simple ; j’ai merdé, je l’ai payé, je me suis excusé, elle accepte mes excuses, et on en parle plus. On cherche trop souvent à ajouter une option supplémentaire, comme se venger, ou vouloir se faire pardonner plus concrètement. Ce sont des choses qui me gavent. Aujourd’hui est déjà passé. Je ne m’étonne pas du fait que je ne sois pas le premier à avoir des doutes sur Cassy. Une fille qui semble aussi innocente, gentille, aimable, joueuse comme une enfant, on finit par se demander si l’on ne tombe pas dans un panneau et qu’on s’en mordra les doigts après. Après, ce qui me valait d’être celui dont elle ne s’attendait pas à recevoir la réflexion, je n’en sais rien. « Je ne serais sûrement pas le dernier. Mais tu sais au moins que les gens t’aiment comme t’es. Enfin, moi, en tout cas. » J’hausse les épaules et lui adresse un sourire. J’ouvre un peu les bras vers elle, comme pour lui proposer un câlin. J’ai trop horreur lorsqu’elle se prend les genoux comme pour totalement s’isoler du monde.