feat. Gabriel

Ce n'était pas parce qu'on vivait dans des villas luxueuses que nous avions des femmes de ménage. Comme à la maison, nous lavions nous-même notre linge. Ce qui n'était vraiment pas plus mal. J'ai toujours eu du mal à déléguer. J'allai alors à la buanderie, chargée de mon énorme corbeille de fringues. Même la buanderie était luxueuse. Parfois, ça en était même lassant. Toutefois, aussi belle fut la pièce, elle restait une buanderie et l'esprit y était plus serein que dans les autres pièces. Y régnait un calme presque surprenant ici. Je déposai ma corbeille sur les étagères, près de la machine à laver. Je divisai méticuleusement les vêtements par leur couleur et leur matière, et commençai une machine de blanc. Je regardai discrètement à droite et à gauche, et c'est un peu honteuse que je sortis du placard, la planche à plier les vêtements. J'avais réussis jusqu'ici à refouler quelque peu mes tendances maniaques, mais je sentai qu'elles revenaient au fur et à mesure. Concernant le linge, je me sentais obligée de plier correctement le linge après l'avoir repassé. Lorsqu'il l'était fait aléatoirement, je ressentai une gène. Bref, faut croire qu'on ne chasse pas le naturel comme ça. La machine finit, je sortis le linge et l'étala sur les basses étagères. Après avoir repassé un tee-shirt, je le pliai avec ma fameuse planche. Je sentis subitemment une présence qui me fis sursauter. Je me retournai alors, tout en poussant loin de moi la planche à plier.

« Attention ! » Je m’approche soudainement et passe mes bras derrière Abbie pour rattraper la planche avant qu’elle ne tombe. Mais si celle-ci ne se retrouve pas par terre, le t-shirt, lui, oui. Eh zut. Je contourne la jeune femme et me penche pour récupérer le vêtement. « Je voulais pas te faire peur.» je lui dis, un peu gêné. Je la regardais faire depuis quelques minutes. Elle semblait si concentrée, méticuleuse, que j’aurais dû me douter que mon approche la ferait sursauter. J’ai tendance à être sacrément silencieux. Je pose le haut sur la planche, ajoutant un « Désolé. » avec un léger sourire. Et maintenant que j’ai biiiien l’air malin, et que je la dérange biiiien comme il faut, je fais quoi ? « Je t’imaginais pas du genre fée du logis. » Je lui dis qu’elle a pas une gueule de femme de ménage, bravo Gabe.

Même avec un attention de sa part, je n'eus pas vraiment le temps de réagir. Je vis Gabriel se précipiter pour rattraper ma planche. Manque de bol, le tee-shirt finit au sol. En me contournant, il se baissa pour ramasser le tee-shirt. « Je voulais pas te faire peur. » « Tu pourrais être cambrioleur, tellement t'es silencieux. Ou tueur en série. Au choix. » Il posa mon tee-shirt sur ma planche et répéta qu'il était désolé. Il semblait réellement gêné et, comme pour lui dire que ce n'était pas grave, je lui adressai un sourire. « Je t’imaginais pas du genre fée du logis. » Tu m'étonnes. J'en suis pas une. « Et tu m'imaginais comment alors ? De toute façon, je te rassure, je suis pas du tout une fée du logis. Y'a qu'à voir comment je cuisine. » J'esquissai un sourire, pensant à mes plats de surgelés. Il m'arrivait même de sauter des repas, juste pour ne pas avoir à cuisiner. Je me mordis la lèvre inférieure, un brin gênée. « Disons seulement que j'ai quelques petites manies.. » Manière détournée et enrobée de dire que j'avais en réalité des tocs. Humiliant, n'est-ce pas ? Les tocs, c'est souvent pour les bourgeoises coincées ou les névrotiques. Pas moi quoi. Et pourtant si, ça m'était tombé dessus.

Cambrioleur ou tueur en série. Y’a pas tellement le choix de carrière dis donc. Enfin, rien de brillant. Mais je sais déjà que je suis fait pour autre chose, une toute autre vocation. « Et pourquoi pas super héros ? » Je suis super-silencieux, en plus d’être super-insupportable, tadam. Ou pas. J’me vois mal porter des collants et une cape. Je préfère mon bon vieux cuir. Quant à Abbie, je me doute que sa passion n’est pas de faire le linge. Enfin, sinon, ça serait sûrement assez flippant. Non, elle m’explique qu’être fée du logis, c’est pas son truc. Ce qui veut dire que, pour le moment, j’ai personne à déléguer au ménage de la chambre. Flûte. « Je t’imagine plutôt… comme la meuf qui doit absolument se maquer avec un milliardaire pour assurer toutes ses séances shopping. » Me demandez pas ce qui me fait penser ça, c’est une intuition sûrement foireuse qui risque de vexer la demoiselle, parce que je suis pas certain que c’était des paroles très sympathiques. Mais je m’en rends compte après, comme d’hab. « Des manies. Genre, ne jamais laisser des couverts croisés ? » ah non, c’est la mienne, ça.

Lui en super-héros ? Hm, il était déjà super-chef, super-tombeur, super-clopeur, alors pourquoi pas. « Super-Gabe, ça sonne bien. Tu viendrais me sauver des tueurs en séries et des cambrioleurs. » Bah quoi, un beau super-héros en devenir, ça se conserve dans son répertoire, croyez-moi. « Je t’imagine plutôt… comme la meuf qui doit absolument se maquer avec un milliardaire pour assurer toutes ses séances shopping. » « Vénale ? hm, intéressant. » Je ne m'en étais jamais caché, j'étais venue ici pour l'argent. Mais delà à coucher pour en avoir, ce n'était vraiment pas mon genre. Dommage, d'habitude j'ai souvent la gueule de l'ange. « Et moi qui croyais que t'étais du genre intuitif, je crois qu'on s'est tous les deux trompés alors. » « Des manies. Genre, ne jamais laisser des couverts croisés ? » Ca sentait le vécu. Un sourire se dessina sur mes lèvres. Au moins je n'étais pas la seule à paralléliser mes couverts. Il était effectivement tombé juste. « Exactement. Ou du genre, régler les réveils sur des chiffres ronds, fermer les portes, ajuster les tableaux. Et je t'en passe » L'obssession de l'ordre et de la symétrie.

Super-Gabe. OUAIS. Ouais… Non. Mais sauver les demoiselles en détresse, ça me va pas mal quand même. J’peux bien m’accommoder d’un sobriquet foireux, aux vues des autres avantages de la profession. On peut pas tout avoir. « Ca me va. Mais j’porterai pas de collants. » Mais même si Kick-Ass porte une combinaison moulante verte, c’est qu’on y échappe pas. Faut une touche de ridicule sur tous les héros pour pas que leur topissitude prenne trop de place, on dirait. Quant à mon super-instinct, il me disait que Abbie était pas du genre aussi angélique qu’elle aimerait le faire croire. C’était l’impression que j’en avais eu pendant le premier prime, en réalité. Ah mais ça lui enlève pas le droit d’avoir des manies. Moi, je supporte pas de voir des couverts croisés. J’suis pas vraiment superstitieux, mais j’peux pas m’empêcher de les foutre en parallèle. Abbie me fait une belle liste de ses petits tics. « Ah ouais, donc t’es siphonnée. » j’en conclus, pour rire, avec un rictus amusé. Meuh non, chacun son truc. Les portes, par exemple ; « J’ai ce truc avec les portes aussi. Quand elles sont entrouvertes, je pète un plomb. Je mets trois ans à me décider si je la ferme, ou si je l’ouvre entièrement. Mais pas ballante. » Deux siphonnés, deux. « Et ça te vient d’où, ça ? » Les manies, ça a toujours une origine, non ?

« Ca me va. Mais j’porterai pas de collants. » Un héros en collant. C'est vrai qu'en y réfléchissant, ils avaient tous une touche de ridicule dont le collant contribuait. C'était peut être pour mieux voler, quoi que ? Les cyclistes se rasent bien les jambes pour mieux adérer à la vitesse. Les héros tiennent sûrement à leur virilité en préférant les collants aux jambes de donzelle. En même temps, qui craquerait pour un super-héros épilé ? Pas grand monde. En tout cas, pas moi. J'acquiessai. « T'as bien raison. » « J’ai ce truc avec les portes aussi. Quand elles sont entrouvertes, je pète un plomb. Je mets trois ans à me décider si je la ferme, ou si je l’ouvre entièrement. Mais pas ballante. » « Moi j'opte toujours pour la fermer. » J'esquissai un rire. Ca me plaisait de parler de ça avec quelqu'un qui comprenait au moins un peu et qui ne me regardait pas comme une hystérique névrosée. « Et ça te vient d’où, ça ? » Je réfléchis. Quand est-ce que m'était tombé dessus ? C'était tombé quelque temps après le décès d'un collègue dont j'étais très proche, il y a bientôt deux ans. En fait, c'était certes un collègue mais également et surtout un ami. J'haussai les épaules et affichai un sourire de circonstance. « C'est venu sans prévenir. Il y a des évènements qui marquent, faut croire. » Je restai vague. Et comme pour détourner la conversation. « Bon et toi, quelque chose à me raconter sur ta vie ? Histoire qu'on soit quitte. » Je lui adressai un cin d'oeil. Il me plaisait bien ce Gabe.

Je songeais à ma propre manie d’entièrement ouvrir ou fermer les portes que j’avais. Je suis le genre qui gueule « LA PORTE ! » à travers toute la pièce, et qui passe pour un dingue. A voir qu’Abbie était plutôt un cas plus grave que le mien, je me sentais moins seul. Faut dire qu’il y a aussi Cassiopée, à un degré de plus de folie que nous. Voir même de tout le monde. Et j’me demande d’où ça peut venir. J’en venais donc à demander à Abbie quelle était la cause de ses manies. Elle me répond vaguement, je suppose qu’elle n’a pas forcément envie d’en causer, ne serais-ce que pour éviter de passer pour plus dingue encore. J’hausse les épaules. « Des évènements qui marquent, ouais. » Je connais. Pour qu’on soit quittes, elle me demande de raconter quelque chose à mon sujet. Bah, là, comme ça, rien ne me vient. En réfléchissant, je grimpe sur un plan de travail de la buanderie et m’assied dessus en tailleur. Je tapote, je joue avec mes mains, comme pour trouver un rythme à mes pensées. « Je suis un putain de cordon-bleu, mais je fais jamais la cuisine. » C’est tout ce que j’ai trouvé. Faut dire qu’en général, je déjeune une clope, je dîne un petit beurre, et ça me va. Alors je vois jamais l’intérêt de me mettre à cuisiner. Donc ça fait partie des trucs que les gens savent pas, en général.