Le prime terminé j'attrape mon gilet et file à l'extérieur. Une semaine que j'ai pas mis les pieds dehors, j'ai cru que j'allais devenir folle. Je m'installe sur les marches du jardin, et allume une cigarette. Je savoure la première bouffée de nicotine, que je souffle dans l'air froid de la nuit australienne. C'est alors que je remarque que la véranda est allumée. Préférant la compagnie à la solitude, je m'y hâte et découvre Gabriel. Lorsque je me rends compte que c'est lui, j'ai un petit mouvement de recul, puis je me souviens de ma résolution. Sans rien dire, je m'assieds à côté de lui. Après avoir recraché un nouveau nuage de fumée, je dis, avec un tout petit sourire : Allez, tu vas voir, ça va aller. C'était juste trop d'émotion d'un coup. Ne t'en fais pas. Dans ma voix, le moindre mot est sincère. Je joue la carte de la confidente bienveillante, il vaut mieux endosser ce rôle ci plutôt que celui de l'amoureuse transie et pathétique, vous ne pensez pas? Et même si je déteste de tout mon coeur Ocyllie, je mets le maximum de bonne volonté dans mes paroles, espérant presque sincèrement que les choses s'arrangent entre eux.

Pour me casser en toute discrétion, je suis le Roi. J’avais déserté le prime juste avant la fin dans l’intention de prendre l’air. Je crois que deux semaines d’enfermement me rendent dingue. J’avais besoin d’air, d’espace, d’une clope. Il faisait nuit noire, le jardin était plongé dans l’obscurité, c’était idéal pour moi qui aime tant la vie de noctambule. J’évolue dans le jardin, cigarette au bord des lèvres. Un pas après l’autre en me fichant bien d’où je vais. Quand j’atterris près de la véranda, je m’y pose. Putain d’éclairage automatique plonge le havre dans la lumière et m’éclate la rétine, fais chier. Je garde les yeux fermés. Assis dans un canapé, les pieds sur la table basse, comme toujours, la tête en arrière sur le dossier où je pose mes coudes. Je suis supposé ne pas savoir comment l’on fait pour être énervé. Ou ne pas le montrer. Mais ma mâchoire se serre a la moindre pensée. Elle sait, pourtant, que je ne peux plus supporter que l’on joue avec moi. Je n’y comprends rien. Mon pied glisse sur la table basse jusqu’au rebord, je la pousse d’un coup sec à quelques mètres de moi avant qu’elle ne s’arrête en basculant sur le côté. Ouais, c’est super intelligent d’abîmer le mobilier, bravo. Crétin. C’est alors qu’une petite voix résonne. Je reconnais Lou sans problème. Ne serais-ce que dans l’intention de venir me voir. Faut être idiote, je pense, pour agir ainsi. « ‘Trop d’émotions’, c’est pas un concept que je connais. » je réponds plutôt froidement. « Et j’pense que non seulement tu te fous pas mal que ça aille, mais que tu serais putain de ravie si ça n’allait pas du tout. Alors tu remballe ton air hypocrite, ‘kay ? » Allons, faut pas se voiler la face ; sa haine contre Ocyllie lui a valu vingt points, qui serait assez con pour la croire sincère ?

« ‘Trop d’émotions’, c’est pas un concept que je connais. Et j’pense que non seulement tu te fous pas mal que ça aille, mais que tu serais putain de ravie si ça n’allait pas du tout. Alors tu remballe ton air hypocrite, ‘kay ? » Je le regarde avec de grands yeux, interloquée. Ouhla, pire que ce que je ne pensais. Je dis alors, toujours d'un ton calme, détonnant avec le sien : Ce serait mentir que de dire que je l'apprécie, elle, mais une chose est sure, j'ai pas envie que toi tu sois malheureux. Alors ouais, ça va aller, j'te le dis. Je frotte doucement le haut de son bras avec ma paume libre, l'air de dire Tiens le coup. Plus les secondes défilent plus je me dis que ce rôle n'est pas si mal, à vrai dire. Et ça me va plutôt bien. Dans une autre vie j'aurais peut être été psychologue, qui sait... Ou alors c'est l'instinct maternel et mes longues après midis avec Liberty qui ont développé en moi ce côté empathique. Oui, non... Je saurais très vite m’accommoder de cette nouvelle "relation" je pense...

Les paroles ne suffisent pas à me faire retrouver la paix de la solitude dont je profitais avant que Lou n’arrive comme un cheveu sur la soupe. Je trouve même que, au contraire, parler est une faille par laquelle ma rancœur se glisse pour s’extérioriser. Qu’en bref, à moins de me taire pour de bon jusqu’à ce que cet état me passe, le risque est que je m’emporte. Non, je ne m’emporte jamais. Impossible. Mais c’est pas faute d’en crever d’envie. Parce qu’à l’attitude d’Ocyllie s’ajoute celle de Lou ; le mélange des deux est juste insupportable. Et je passe sur la main de la jeune femme frôlant mon bras, qui me fait serrer les dents. Je dégage finalement mon membre, sèchement. « Commence par évoluer et te trouver une autre cible à ta frustration. » Allons, les histoires bidons de triangle amoureux, c’est bon pour les cours de récréation, les vampires et les bouquins pour adolescentes. Qu’elle passe sa colère sur quelqu’un d’autre qu’Ocyllie, ça m’aurait évité de subir leurs conneries. « Et oublie moi, putain. » j’ajoute, sûrement en tant que méchanceté gratuite, pour qu’elle pige que je ne veux pas d’elle dans les parages.

« Commence par évoluer et te trouver une autre cible à ta frustration. Et oublie moi, putain. » Il a viré ma main avec une violence déconcertante, et ses paroles me laissent sans voix. Pourquoi as-t-il besoin de faire ça? Pourquoi à chaque fois qu'on tente de franchir une barrière il recule de cette façon, et troque son manteau de velours contre une carapace d'épines vénéneuses? J'en ai marre de jouer cette Lou calme, zen, garde fou. Je bous intérieurement et me lève aussitôt qu'il a fini de parler, bien décidée à m'expliquer. Putain Gabriel, c'est quoi ton problème avec moi? T'en fais pas, j'avais bien pigé le message la première fois, t'sais ! J'vais pas te sauter dessus et te violer sur place, si c'est là où tu voulais en venir, d'accord. Alors excuse moi, mais j'savais pas que j'avais même pas le droit d'essayer de me comporter en adulte compréhensive et pas en ado qui fait la gueule parce qu'elle s'est pris un râteau. Mais tu veux pas que ça se passe comme ça, soit. Il veut le voir, le "Dark side" de Lou? C'est pas ce que j'avais en tête à la base, mais c'est tout à fait faisable. Je soutiens son regard, l'obligeant presque, avec l'intensité du mien, à ne pas détourner les yeux. Pour une fois, je vais pas mettre ça sur le compte de l'enfermement parce que, croyez en l'expérience, l'enfermement peut faire plein de choses sur quelqu'un, mais ma ça.

Lou se lève, et j’ose espérer qu’elle se met sur ses deux jambes pour enfin me laisser, comme je le lui ai si gentiment suggéré. Mais ce n’est pas le cas. Face à moi, elle plante son regard dans le mien pour me débiter un monologue dont il faut, retenir, en résumé, que je suis un connard avec elle, pauvre petite chose. A l’entendre, faudrait lui offrir une médaille pour une supporter, et une auréole pour être venue me causer avec son trop plein d’hypocrisie. Puisqu’elle insiste, je laisse mes yeux plantés dans les siens. Mais un sourire narquois étire mes lèvres, tandis que je soupire ; « Oh, jt’en prie, t’es ridicule. Joue pas la sainte. Si tu insiste autant, c’est pour te donner bonne conscience. » Qu’elle soit au moins honnête avec elle-même, quoi. Sur le moment, elle était sûrement très fière de son coup. Et maintenant que les conséquences lui tombent –et me tombent- sur la gueule, elle revient la queue entre les pattes ? Faut pas pousser. On peut pas être bourreau et médecin. « Ca te dérangeait pas d’avoir une attitude d’ado tout à l’heure, pourtant. T’as pesté comme une pute et t’en a été bien fière. Maintenant, t’as foutu la merde et t’es incapable de l’assumer, c’est pitoyable. » Sur ces mots, je me levais. J’apprécie assez de pouvoir employer littéralement l’expression « regarder de haut ». « T’as la trouille de t’en vouloir pour ça, bien plus que réparer les pots cassés ne t’intéresse. Tu viens savoir comment je vais pour t’assurer que je ne vais pas t’en vouloir. Et avec cette attitude, tu penses pouvoir passer pour la gentille, et me faire passer pour le salaud ? » j’en viens à siffler entre des dents trop serrées par l’exaspération. Putain, non, je peux pas m’emporter. J’abaisse ma main, celle qui voulait attraper la jeune femme par le col histoire que mes mots percutent mieux au fond de son crâne. Pas de ça. Je respire un grand coup. J’ai pas la moindre envie d’entendre ce qu’elle aura à me répondre, mais quelque chose me dit que j’y aurai quand même droit.

« Oh, jt’en prie, t’es ridicule. Joue pas la sainte. Si tu insiste autant, c’est pour te donner bonne conscience. » Ridicule? Et il allait dire que j'étais celle qui est ridicule, nan mais on aura tout vu. Non mais Gabriel, réveille toi, le monde il n'est pas tout noir ou tout blanc. Si ma conscience à un rôle à jouer là dedans, c'est pas le seul facteur qui entre en jeu. ma voix s'est radoucie, comme si j'espérais que le calme changerait les choses. Pff, tu parles, ouais. « Ca te dérangeait pas d’avoir une attitude d’ado tout à l’heure, pourtant. T’as pesté comme une pute et t’en a été bien fière. Maintenant, t’as foutu la merde et t’es incapable de l’assumer, c’est pitoyable. » J'hallucine, non mais vraiment. Pour qui se prend il là? En plus il débite n'importe quoi ! Tu te rends compte de ce que tu dis, là? Si y'a quelqu'un qui a foutu la merde ici, c'est pas moi. J'ai fait que dire des choses que tout le monde savait déjà. Ocyllie le savait, la prod', le public, et toi aussi, puisque t'avais des écrans ou j'sais pas quoi... Alors quoi, tu vas m'reprocher de dire la vérité, vérité dont tout le monde se moque, pour le jeu? tu voudrais quoi? Que j'lui chante des berceuses la nuit avant de dormir? Y'a des limites à tout. Je roule des yeux. non mais manquerait plus que ça... Ses dernières phrases provoquent en moi une réaction inattendue et inhabituelle? Sans réfléchir la moindre seconde je lève ma main droite et lui colle une gifle. Enfin, j'ai failli lui coller une gifle. Heureusement pour lui il l'a interceptée. Juste avant que je n'atteigne son visage, il a stoppé mon poignet de sa main. On ne bouge pas, mais nous nous regardons toujours avec la même intensité.

Tout au long du discours de Lou, j’ai de plus en plus l’impression d’engueuler une adolescente qui ne comprend pas un mot sur deux de ce que je lui raconte. Parfois, mon visage se décompose devant les conneries qu’elle me débite. Ce n’est pas elle qui a foutu la merde ? Evidemment, c’est une sainte, j’oubliais. Alors qui ? A qui la faute ? La mienne ? J’ai rejeté la pauvre Lou et je dois le payer jusqu’à la fin de mes jours ? Je dois supporter sa rancœur, sa jalousie puérile ? Et Ocyllie aura droit jour et nuit à des piques de ce genre ? A croire qu’elle-même ne se rends pas compte que le problème ne vient pas d’Ocyllie, qui n’a rien demandé, ni de moi qui l’a simplement choisie elle plutôt que l’insupportable brune. Qui reste-t-il dans l’équation, mis à part Lou ? Lou qui ne voit pas elle-même que sa soit disant haine contre la candidate n’était fondée sur rien de plus que sur sa jalousie, une histoire digne seulement d’une cour de récréation dont la manière qu’elle avait de s’y accrocher la faisait s’enfoncer dans le ridicule. De qui d’autre peut- venir le problème, si ce n’est de cette jeune femme qui pense que c’est agir en « adulte compréhensive » que de faire preuve d’autant d’hypocrisie ? Agir en adulte implique d’assumer les conséquences de ses actes, ce qu’on peut traduire par un « ferme ta gueule et baisse les yeux ». La question n’est pas de lui reprocher d’avoir eu l’irrépressible besoin de cracher son venin, mais de jouer la girouette et revenir la queue entre les pattes juste après en pensant pouvoir se faire passer pour un ange. En effet, il y a des limites à tout. Et cette gifle qu’elle tente de me coller est une atteinte aux limites de ma patience. Avec un bon réflexe, je parviens à attraper son poignet. Non mais je rêve ? C’est du spectacle pour les caméras, c’est ça ? « Tu comptais faire quoi, là ? » je demande, la traversant de part en part du regard, les iris noirs opacifiés par la colère qu’elle m’inspirait. Ce sentiment qui garde son poignet prisonnier de mes doigts serrés, très serrés. J’ai le cœur brisé en me disant que, non, Lou ne méritait pas la moindre seconde de l’admiration que j’avais pu avoir pour elle durant les premiers jours. Elle agit comme une gosse. Après l’hypocrisie, la violence. Je ne reconnais pas en elle cette jeune femme, je suppose qu’elle a été bouffée par la jalousie. Elle ne méritait pas non plus que je perde mon sang froid, ni même que je continue à débattre, puisqu’à ses yeux j’étais le salaud, et qu’elle finira par obtenir que tous me donnent le mauvais rôle si je laissais la conversation aller dans ce sens. Alors, le temps de retrouver mon calme, sans pour autant lâcher son regard, je ne dis rien. Je lâche, peu à peu, sa main. Après une bonne minute de silence, j’articule enfin ; « Ma seule faute est de ne pas avoir voulu le toi. La tienne est que tu te laisses bouffer par ça. Ouvre les yeux, oublie Ocyllie, et oublie-moi. Et tout ira pour le mieux. Peut-être que tu recouvriras mon estime. Mais maintenant, c’est terminé. » Je crois que ma déception à son sujet est telle que ma seule envie est de tourner les talons. Je lui laisse le temps de répondre ce qu'elle veut, je ne sais quelle idiotie qui ne changera absolument rien, avant de partir, la laisser là. Quelle puisse apprécier le vide qui se forme autour d'elle avec une telle attitude.

Je sens mon sang pulser sous ses doigts serrés autour de mon poignet. Punaise ce qu'il y met de la force. Quand il me relâche, enfin je fais bouger mes phalanges une à une, histoire de rosir ma main qui a pris une couleur blanchâtre. On se regarde toujours dans les yeux, mais c'est comme si j'étais absente. Je n'écoute plus ce qu'il me dit, il parle, je le sais, je perçois un vague brouhaha au loin, mais je suis incapable de déchiffrer ses paroles. La seule chose que je finis par comprendre c'est qu'il s'en va. Je le vois s'éloigner, aller vers l'extérieur, par là où je suis entrée. Des mots s'échappent de ma bouche, sans que je n'aie pu les contrôler, sans même avoir pu les analyser. Dans un cri je lance : T'ES PAS UN SALAUD ! Je ne comprends mes paroles qu'après les avoir dites, mais les raisons d'une telle phrase m'échappent encore. Ai-je dit ça dans le seul but de le retenir ? J'suis en position de faiblesse là, autant y aller jusqu'au bout. Et au pire quoi...? Not' relation peut pas être bien pire que celle qu'on a déjà. Autant jouer la carte de l’honnêteté, pour une fois dans ce jeu. Je me rassois dans le fauteuil, puis dis, très calmement : T'es pas un salaud nan. Et pis t'as raison. Foncièrement, elle m'a pas fait grand chose ta blonde. Ca doit être la jalousie, et la frustration, et l'enfermement, et le manque de Nate et de Lib. Bref, c'est moi. Je serre les poings, les dents, avant de laisser échapper encore quelques mots, plus bas encore : Alors maintenant vas-y, tourne les talons, moi j'vais aller dormir, ou fumer, ou n'importe quoi, et à partir de demain j'ferai en sorte qu'on ne se croise plus, si c'est nécessaire. Même si c'est la dernière chose que je dois faire ici...

Elle ne disait rien, je pouvais donc partir. Je passais à côté d’elle, frôlant son épaule, et fit quelques pas pour quitter la véranda, m’éloigner d’elle. Continuer à marcher un peu. Mais elle vient me hurler que j’suis pas un salaud. Bien entendu, je suis au courant. Et à moins d’être réellement en tort, je ne laisserais jamais personne affirmer le contraire. Alors quoi, quel était le but de cette exclamation, si ce n’est pour me dire quelque chose que je sais déjà ? Déjà dans les quelques marches surélevant l’espace, je me tourne légèrement, histoire de pouvoir deviner Lou par-dessus mon épaule. Je ne suis pas vraiment réceptif à ce qu’elle peut encore me dire. J’écoute par politesse plus que par attention. La jeune femme reconnait son tort principal. Je devine que le reste de son monologue vise à m’attendrir, me faire sentir coupable de m’être emporté. Pas besoin d’une moue de désespérée pour ça ; je ne supporte pas de perdre mon sang froid et m’en voulais bien assez pour cela. « Tout ça, c’est c’que j’me suis emmerdé à te faire piger. Maintenant, si tu veux exprimer des remords, tu t’adresses pas à la bonne personne. » j’envoie plus froidement que je ne le voulais, l’invitant à aller plutôt reconnaitre ses torts auprès de « ma blonde », comme elle continuait malgré tout de la qualifier. Personnellement, je savais de quoi elle était coupable ; je ne l’aurai pas accablé si elle n’avait pas tenté de jouer les saintes par la suite. Désormais, comme la dernière fois, elle préférait fuir le problème. Je m’en fichais, ce n’était plus mon affaire pour ce soir. Elle était bien assez grande pour se gérer seule. Quoi que.