AVEC GABRIEL, le vingt-trois mai à vingt-heures

J'avais toujours eu ma propre routine de laquelle je ne dérogeais jamais. Je me levais aux alentours de sept heures, je partais travailler à sept heures et demi, je fermais la librairie à sept heures tapantes avant de retourner chez moi et à vingt heures je mangeais ne prenant jamais de repas le midi. Cela était mon quotidien depuis un bon nombre d'années et il était clair qu'en étant ici tout cela changeait radicalement. Je devais m'adapter à une vie qui n'était pas la mienne, j'avais mis du temps à y faire face mais j'étais parvenu petit à petit à m'adapter. A m'adapter aux conditions de vie peut-être mais certainement pas au fait que je devais faire des efforts pour parler tous les jours. Des efforts certes minimes que personne ne remarquait, mais j'en faisais. Toutefois si j'avais quelque peu bouleversé mes habitudes, manger à vingt heure était toujours une chose importante à mes yeux. Alors aujourd'hui comme tous les autres jours j'étais dans la salle à manger avec le plat de pâtes que je venais de me préparer, ce qui est à peu près tout ce qui constitue mon alimentation d'ordinaire. Quelqu'un entra alors dans la pièce et je levai discrètement les yeux pour voir de qui il s'agissait. Gabriel, hm génial. Il ne semblait pas vraiment m'apprécier, mais je le comprenais, parce que je n'attends pas des autres qu'ils m'apprécient, ni même qu'ils s'intéressent à moi. Alors oui je ne lui en voulais pas, parce que je trouvais ses paroles légitimes, même si elles m'avaient presque arrachées quelques larmes, et aussi parce que je n'étais pas rancunier pour un sou. « Tu ... tu en veux ? » lui demandais-je alors doucement en montrant le plat de pâtes à côté de moi. Mes joues avaient légèrement rosies mais je faisais des efforts. Enfin c'était surtout parce que j'étais toujours un peu trop aimable et trop gentil. Je ne pouvais pas m'empêcher de lui proposer mes misérables pâtes, parce que je n'en avais pas le courage.

Allongé dans le canapé, je fixe le plafond en me tournant les pouces. Littéralement. Je me demande si je peux demander une guitare à la production. Je sais pas quoi faire avec moi-même quand je ne peux pas jouer quand je veux. Je peux griffonner des mots, des paroles sur le carnet que je tiens, mais ça ne rime pas à grand-chose sans l’air qui irait avec. Sans mauvais jeu de mot. Je suis viiiiiiiiide de musique, et overdosé à coups de Lady Gaga, de Katy Perry, et de toutes ces pouffes. Je veuuuuuux ma guitare. Finalement, je décide de bouger. Je saute sur mes jambes, m’étire un grand coup, et, à voir l’heure, je pars en quête de quelque chose à manger. Sur le chemin du cellier se trouve évidement la salle à manger. Et là se trouve Lewis. J’ai pas été tendre avec lui durant le prime, mais je n’avais pas vraiment le choix. C’était une proie facile, il n’y avait rien de glorieux là-dedans, surtout que je n’ai rien contre ce rouquin. C’avait été l’échauffement. Face à lui de nouveau, je lui adresse un léger sourire pour unique salut. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me parle. Vu qu’il ne parle presque pas. Pourtant il s’adresse à moi et me propose généreusement de partager son plat. A moi ? Au cas où, je jette un regard par-dessus mes épaules. Non, personne d’autre que moi. J’hausse les épaules pour nuancer mon étonnement. « Je veux bien. Merci. » J’attrape une assiette à la volée et la pose la table avant de tirer une chaise pour l’installer face à lui. J’ai pas envie d’être désolé pour le prime. J’le suis pas. Alors je me contente de me servir un peu de pâtes. Pas grand-chose, parce que je ne mange presque rien. Je me nourris de nicotine, voilà. « Comment se passe ton binôme avec Alexis ? » je demande pour engager la conversation, sans trop d’espoirs d’une réponse plus construite que « Euh… Bien. » J’ajoute ; « Fier d’avoir la miss POM comme partenaire ? Personnellement, j’apprécie de l’avoir dans l’équipe. C’est une fille bien. » Je tripote mes pâtes du bout de ma fourchette sans en avaler encore. Passionnant. Je me relève quelques secondes et vais chercher deux verres. « Tu bois quelque chose ? » Voilà, en général, c’est ainsi que j’me fais pardonner. En faisant comme si de rien n’était, juste en Gabriel en version améliorée.

C'était dans ma nature d'être incapable d'en vouloir aux autres, ou d'être méchant. Je me montrais même souvent trop gentil, et c'était bien là mon problème. J'aurais dû ne plus adresser la parole à Gabriel parce qu'il fallait dire qu'il n'avait pas été tendre avec moi vendredi mais je ne pouvais m'y résoudre parce que je ne savais pas être rancunier. Et puis je me doutais que s'il venait dans la salle à manger c'était parce qu'il avait faim, et comme j'étais loin d'être égoïste et que je ne peux m'empêcher de partager tout ce que j'ai, je lui avais proposé des pâtes. Ce n'était pas grand chose, mais c'était à peu près tout ce que je savais cuisiner, et tout ce qui constituait mon alimentation, avec le riz et le blé. Mais visiblement il ne s'attendait pas à ce que je lui parle, et il vérifia même si je ne m'adressais pas à quelqu'un d'autre. Après tout c'était logique j'aurais dû ne plus lui adresser la parole, enfin pour peu que je parle, et attendre qu'il vienne s'excuser mais je fonctionne bien différemment de tous les gens qui m'entourent, mais vous l'aurez remarqué. J'attendais d'ailleurs des excuses parce que cela me paraissait normal, mais ce n'était apparemment pas quelque chose qui lui venait à l'esprit. Ce que je trouvais bizarre, mais je n'allais pas réclamer des excuses, ce n'est pas mon genre. « Oh, hm ... très bien, elle est gentille.» répondis-je doucement. Je savais que je devais paraître pour extrêmement niais, mais pour moi c'était la qualité essentielle à avoir, être gentil et se montrer compréhensif. Ce qu'elle faisait, et heureusement sinon je ne l'aurais pas supporté. « Oui c'est une fille bien, je me demande pourquoi ils l'ont mis avec moi.» Au fur et à mesure que j'avais prononcé cette phrase, ma voix avait baissé en même temps que ma tête et mes paroles devinrent presque inaudibles. Mais je pensais tout ce que j'avais dit, c'était une fille bien oui et gentille et je ne comprenais pas qu'on ait pu la mettre avec moi parce que j'étais clairement inintéressant. « Oui je veux bien de l'eau s'il te plaît.» répondis-je alors poliment. Au moins s'il ne s'excusait pas, il ne disait rien pour m'enfoncer. « Et... et toi qui est ta partenaire ?» J'essayais tant bien que mal de faire la conversation, et mes joues s'empourprèrent immédiatement. Il ne s'en rendait sûrement pas compte mais je devais faire beaucoup d'efforts pour avoir une conversation normale et ne pas m'enfuir en courant tellement j'étais mal à l'aise.

J’avais plus ou moins raison, les réponses de Lewis n’étaient jamais plus constructives que le minimum indispensable. Il se contenta donc de me répondre que, en effet, Alexis est une fille gentille. Moi je pense qu’elle a une patience à toute épreuve, et une tolérance incroyable. Parce que je suis trop bavard, personnellement, pour supporter une personne qui n’ouvre jamais la bouche pour articuler plus de trois mots de deux syllabes chacun. Je suis sûr qu’il écoute, c’est un gentil gars, mais ça laisserai l’impression de cause à un mur. Quoi qu’il en soit, le rouquin avait ses bons côtés. Il était peut-être naïf, mais j’apprécie les gens généreux et qui ne sont pas rancuniers. Et au fond, il vaut mieux parler peu plutôt que de parler trop pour ne rien dire et débiter des conneries à la vitesse du son. Lewis ajoute qu’il se demande pourquoi il fut associé à Alexis en binôme. C’est une réflexion que je trouve surprenante. Je crois que personne jusqu’alors n’a remis en question son binôme de cette manière. Enfin, Elijah avait finalement fait comprendre qu’il ne voulait pas de Cleveland, mais ce n’est pas la même chose. Lewis ne se sent juste pas assez bien pour la jeune femme. « Les voix du Seigneur sont impénétrables, jeune padawan. » je réponds en haussant les épaules. Si la prod’ les a mis ensemble, c’est parce que leur test d’affinités à la meetic a donné ce résultat, faut pas chercher plus loin. Juste, laisser faire. Je pense. Je me levais ensuite pour chercher à boire. Je dépose deux verres sur la table, et les remplis avec de l’eau, comme le demande le jeune homme. Qui se met à faire la conversation. Je serais presque tenté de prendre sa température, au rouquin, voir s’il a pas une maladie qui le fait parler. Je lui adresse un sourire, presque encourageant, avant de répondre à mon tour ; « Marilou. Petite, brune, yeux verts. Elle parle tout doucement, mais super vite. Elle se perd tout le temps dans ce qu’elle raconte, c’est adorable. Elle est au moins aussi timide que toi. » Quoi qu’elle fasse des efforts pour surmonter cela. J’ai cru comprendre que c’était son but, après tout. « C’est une partenaire cool. » j’ajoute en me décidant enfin à planter ma fourchette dans mes pâtes pour en porter à ma bouche. « Tu crois pas qu’il y a quelque chose de possible entre toi et Alexis, si ? » J’me demande, parce qu’après tout, les binômes étaient plus ou moins faits pour créer des couples, trouver son idéal amoureux.

Oui il arrivait souvent que je me demande pourquoi on m'avait mis avec Alexis. Je veux dire c'était une fille gentille, et tout ce qu'il y a de plus respectable et j'étais persuadé qu'il y avait bien d'autres personnes qui auraient ravis de l'avoir comme partenaire. Attention je ne disais pas que je n'étais pas content, mais disons que ces personnes là auraient sans doute plus fait l'affaire pour elle que moi, je ne me voilais pas la face. Enfin j'étais persuadé que les états d'âme d'un mec de trente ans qui n'a absolument pas confiance en lui n'intéressaient absolument pas Gabriel. Je ne savais même pas pourquoi cela était sorti de ma bouche, parce que ce n'était pas spécialement quelque chose que j'avais envie de partager, même si pour moi cela semblait assez évident que tout le monde devait penser cela. Pourquoi est-ce qu'on avait pu mettre un type comme avec elle ? J'étais persuadé que c'était ce que les autres candidats se disaient. « Merci » répondis-je avec un sourire poli à peine visible lorsqu'il me servit un verre d'eau. « Oui je vois qui c'est. » répondis-je simplement quand il me fit la description de Marilou. Je l'avais déjà croisé dans la forêt, curieuse rencontrer, vous l'admettrez, et j'avais pu remarquer qu'elle était aussi timide que moi, enfin j'avais l'impression qu'elle l'était tout de même moins. Mais oui elle m'avait l'air d'être gentille. « Je n'en doute pas. » Oui elle semblait être une partenaire cool, comme il le disait. Je savais bien que ma compagnie n'était pas formidable, pour preuve je faisais à peine la conversation et je ne faisais jamais de longues phrases. Mais j'essayais de m'améliorer, de faire des efforts. C'était difficile, et les autres ne le voyaient sûrement pas, mais je faisais vraiment de mon mieux. Enfin j'essayais, cela ne marchait pas toujours spécialement lorsqu'il me demanda si je pensais qu'il pourrait se passer quelque chose entre Alexis et moi. Mes joues deviennent soudainement brûlantes et je manque de recracher ce que je viens de boire. « Hm ... non . Je ... j' .... J'attire pas vraiment les femmes.» répondis-je d'une voix à peine audible.

On ne peut pas dire que je sois impressionné, néanmoins je remarque une amélioration dans la communication de Lewis ; il hésite bien moins. Je n’ai pas souvenir de l’avoir entendu une seule fois articuler une phrase sans la ponctuer d’arrêts, de « euh », ou même sans remettre lui-même en doute ce qu’il vient de prononcer par des « je crois », « je sais pas ». Jusqu’à aujourd’hui, je me demandais encore si le rouquin connaissait réellement l’utilité de sa bouche, dents, langue et lèvres. Parler, avant tout, oui. Parler. Et, de préférence, pour dire quelque chose. Cette fois, même si sa conversation n’était pas brillante, il faisait de vraies réponses. Pourtant, je me dis qu’un gars libraire doit en avoir dans la cervelle. J’me vois mal parler à un gars qui vit au contact des livres et qui ne saurait pas me causer d’Hemingway, de Fitzgerald, de Wilde. Au final, j’ai bien du mal à cerner Lewis. Je me demande s’il n’est pas plus complexe qu’il n’en a l’air. Il me répond qu’il n’attire pas vraiment les femmes. Ouais, je peux le concevoir. C’est cruel, mais faut bien l’avouer. Même si les rouquins sont devenus à la mode. Je termine ma bouchée de pâtes avant de répondre ; « J’pense que si t’as été foutu avec Alexis, c’est pas pour rien. » C’est qu’il y a bien une chance, normalement, pour qu’il lui plaise, et inversement. « Peut-être que c’est une fille cool qui a pas demandé un apollon, mais un mec avec de la sincérité, de la générosité, et de la cervelle. » Ou alors, c’est une lesbienne qui s’assume pas. Au choix. Quoi qu’il en soit, je suis plutôt sincère dans ce que je dis là. Je reprends ; « Par contre, un truc me chiffonne. T’es libraire, non ? C’est que tu dois aimer les bouquins, hm ? Alors comment ça se fait qu’un gars qui a sous la main tous les plus grands auteurs, toutes les plus belles plumes, puisse pas s’en inspirer pour s’exprimer ? » Je parle pas de causer en alexandrins Shakespeariens, non plus, hein.

Oui il ne fallait pas être un génie pour se rendre compte que je n'attirais pas vraiment les femmes, ni les hommes d'ailleurs puisque je n'affichais aucune préférence de ce côté là. Mais disons que je le savais depuis longtemps. Je n'étais pas particulièrement séduisant, et pour ne rien ajouter à cela, pas bavard et pas non plus particulièrement intéressant. Je m'étais souvent demandé si j'avais eu un physique plus avantageux est-ce que j'aurais eu plus confiance en moi. Je ne le pensais pas parce que cela avait toujours été dans ma nature de m'enfermer dans mon silence et ma solitude, mais peut-être que cela m'aurait aidé à m'ouvrir d'avantage aux autres, même si j'étais loin d'être une personne superficielle qui s'arrêtait à l'apparence des autres, je ne pouvais pas me le permettre et surtout ce n'était pas important pour moi. Quoi qu'il en dise, s'il y avait sûrement une raison pour laquelle Alexis et moi étions en binôme j'étais persuadée qu'elle devait le regretter. « Peut-être ... » De toute manière il était clair que si elle recherchait un mec musclé et qui n'avait peur de rien, elle était bien mal tombé avec moi, même si je doutais qu'elle puisse apprécier un timide maladif comme moi. Sa remarque d'après ne manqua pas de me surprendre, et de me décontenancer. J'avais toujours eu horreur que l'on me rappelle que je n'étais pas doué pour m'exprimer, et je trouvais cela hors de propos. Bien entendu je passais ma vie la tête dans les bouquins, mais cela ne signifiait pas que je puisse m'exprimer comme l'un des auteurs que je lisais, et encore moi que j'ai une certaine aisance à parler. J'étais capable de parler de littérature pendant des heures, et c'était bien la seule chose qui était capable de me faire parler, mais en dehors de cela pouvoir m'exprimer en puisant une quelconque inspiration dans un des nombreux livres que j'avais pu lire je ne voyais pas cela possible. Et lire des livres à longueur de journée, ne m'aidait en rien à être à l'aise à l'oral, et je ne voyais pas comment cela aurait pu en être possible autrement. Au contraire, plus je lisais, plus je m'enfermais dans un monde différent de celui dans lequel nous vivions. « Je ... je ... Je ne suis pas à l'aise pour parler aux autres c'est tout. » Je ne voyais pas quoi lui répondre d'autre, de toute façon si je continuais j'étais capable de pleurer. C'était minable j'étais parvenu à faire quelques efforts pour lui parler et mes efforts avaient été réduit à néant. Je suis définitivement un bon à rien.

Lewis se contente de répondre qu’il n’est simplement pas à l’aise. Une bonne poignée de secondes, je l’observe. Sûrement avec l’expression la plus neutre que l’on puisse connaitre. « ‘kay. » je lâche en haussant les épaules, brisant le silence. Mon regard plonge dans mes pâtes. Et je me rappelle qu’en réalité, je suis pas fan des pâtes. Mais c’est un peu tard pour s’en souvenir. Du coup, j’amène une nouvelle fourchette à ma bouche. Je continue de manger, tandis qu’un silence s’installe à nouveau. Je ne compte pas vraiment sur Lewis pour relancer la conversation. Je m’en fiche un peu. Le silence aussi, c’est bien. Surtout que c’est pas un élément qu’on trouve souvent dans la baraque. Les gens sont trop occupés à faire les cons. Je dis pas que je déroge à la règle, je suis aussi crétin que tous les autres, et aussi frappé que la plupart. Parfois, on se sent plus dans une cour de récréation que dans une villa. Peut-être qu’un jour j’irai dessiner une grande marelle dans le jardin. Au final, Lewis fait partie des gens les plus normaux. C’est assez amusant. En quelques minutes, j’ai terminé mon assiette. Il n’y avait pas grand-chose dedans. J’attrape mon verre d’eau et, avant d’y tremper mes lèvres, demande ; « D’accord, et donc, tu comptes faire comment pour plaire à Alexis ? » Un rictus mutin anime mes lèvres. C’est assez cruel comme question, puisque je la pose surtout pour mettre le rouquin mal à l’aise. Oui, juste pour le plaisir. Je cache mon envie de rire derrière une gorgée d’eau. N’empêche que ça m’intéresse quand même de savoir s’il pourrait craquer pour ma coéquipière. Et inversement. On tient un couple plutôt improbable. Quelque chose de vraiment… freaky.

Je n'étais pas à l'aise quand il s'agissait de parler, et je crois que tout le monde l'avait remarqué tant je me faisais discret ici. Toutefois je n'aimais pas qu'on me le rappelle, qu'on me le dise ouvertement. Je le vivais déjà assez mal et je n'avais pas besoin qu'on me le dise constamment, parce que cela me renvoyait ma médiocrité au visage sans que je n'ai rien demandé. Je ne savais pas s'il le faisait exprès mais il semblait prendre un malin plaisir à me mettre dans l'embarras. Si j'avais pu avoir des doutes quelques secondes auparavant, ceux-ci s'effacèrent lorsqu'il me demanda comment je comptais m'y prendre pour plaire à Alexis. Il était évident que je n'avais pas l'intention de lui plaire, parce que cela n'arriverait jamais. J'étais un bon à rien que ni Alexis, ni aucune autre fille n'apprécierait jamais parce qu'il en avait toujours été ainsi. Mes joues prirent alors une teinte cramoisie et mes yeux se fixèrent sur l'assiette de pâtes à laquelle j'avais à peine touché qui se trouvait devant moi. « Je n'ai pas l'intention de lui plaire, je sais que ça n'arrivera jamais.» avais-je dis d'une voix à peine audible. J'en avais assez de devoir constamment me justifier, je me trouvais assez minable sans pour avoir pour autant besoin de le formuler à voix haute. C'était plutôt gênant de devoir se l'entendre dire à voix haute. Et je savais que sa question n'était pas choisie au hasard, que c'était pour que je sois encore plus gêné que je ne pouvais l'être. J'avais beau être extrêmement naïf, il arrive un moment où j'arrive à percevoir le vrai du faux. « Mais arrête s'il te plaît.» Par là j'entendais arrête de m'embarrasser, je le fais déjà assez moi-même sans que tu viennes en rajouter. Mais je n'étais pas certain qu'il ait entendu j'avais dit ça d'une voix tellement basse que je ne pouvais m'assurer que mes paroles soient parvenues à ses oreilles, même en demandant poliment ce n'était pas dans mes habitudes d'avoir ce genre de requête, je me laissais d'ordinaire faire sans oser rien dire.

Je recommence à embêter Lewis par simple plaisir. D’accord, ce n’est pas franchement sympa de ma part, mais ça n’est pas non plus si méchant que ça. Disons que je préfère cela à le laisser dans son coin, même si c’est sûrement ce qu’il souhaite. S’il ne cherche pas à aller vers les autres, autant que ce soyons nous qui allions vers lui. Même si on pourrait simplement le laisser imiter la carpe, se faire oublier, petit à petit, pour lui garantir une élimination en vitesse. Non, le rouquin me plait bien. Malgré sa conversation limitée, il est sympathique. Au moins, c’est quelqu’un ici sur qui on peut compter pour ne pas se prendre la tête. Je suis certain qu’il pourrait magnifiquement s’entendre avec les filles de la baraque, celles qui ont besoin d’étaler leurs vies, leurs exploits, et leurs malheurs ; il écoute, sans rien dire, il sait acquiescer, c’est parfait. Concernant le reste des candidats, en revanche, j’ai plus de doutes. J’me dis que ça doit être vachement handicapant, de vivre ainsi muré dans un certain mutisme. Est-ce qu’il ne se sent pas prisonnier et victime de sa timidité ? Ou bien est-il parfaitement heureux comme ça ? Lewis m’intrigue, c’est sans dire. Littéralement. Il me demande de cesser de chercher à le mettre mal à l’aise. Bien, il est pas crétin, il ne tombe pas dans le panneau. Avec un large sourire amusé, je réponds « Bien, bien, j’arrête. » Puis je me lève, prenant mon assiette pour la déposer dans la cuisine où elle sera lavée par je ne sais quel pigeon. « N’empêche que si tu veux espérer rester là un certain temps, va falloir te bouger. » Mais ça, je pense qu’il est assez intelligent pour le savoir. Faut pas être hypocrite ; dans ce genre de jeu, soit t’es vu, soit t’es bouffé. Et Lewis est un petit poisson. Je le quitte sur ce, et le laisse à son plat de pâtes. Je pose mon assiette dans la cuisine, et refait un détour silencieux par la salle à manger. Je m'approche sans un bruit, je suis plutôt doué pour ça, et, par derrière, lance un grand "BOUH" qui résonne dans la pièce pour lui faire peur. Histoire de voir si la parole fut.